Par les temps qui courent et le vent de folie dominant, il est particulièrement judicieux de se souvenir du passé. L’histoire, la grande histoire, se retrouve donc tout naturellement au cœur de nombreux polars publiés récemment. L’Islandais Arnaldur Indridason, lui, n’a pas attendu ce déferlement nostalgique pour en faire la pâte de ses récits. Depuis près de trente ans, c’est le passé, en particulier celui de son pays, qui d’une manière ou d’une autre sert de socle à ses romans.
Avec « Les lendemains qui chantent », sixième volet des enquêtes du policier retraité Konrad, c’est du côté de la guerre froide et des années 1970 qu’il choisit d’emmener son lecteur. Une époque trouble à plus d’un titre, où l’on assiste à un curieux trafic de Lada d’occasion avec l’Union soviétique, où les gens qui ont le cœur à gauche peuvent se révéler des espions à la solde de Moscou tandis que d’autres, déçus par la fameuse promesse des « lendemains qui chantent », choisissent au contraire de se mettre au service des Américains.
Dans ce roman, comme toujours chez Indridason, c’est du présent que démarre la traque aux fantômes. Et comme souvent chez lui, il y est question d’un homme disparu depuis des décennies dont le cadavre soudain refait surface – ici dans une sorte de grotte étroite aménagée pendant la guerre. Cet homme, le fidèle lecteur d’Indridason l’a déjà croisé. Il s’agit de Skafti Timoteus Hallgrimsson dont le prétendu meurtrier avait été condamné à une lourde peine après avoir reconnu, sous la pression, avoir jeté son corps dans la mer. Or il se trouve que le responsable de cette enquête bâclée n’était autre que Leo, un collègue et grand ami de Konrad qui, à l’époque, avait assisté à l’interrogatoire. Et qui, pris de remords, réendosse sans hésiter ses vêtements d’enquêteur.
A partir de cette pelote d’interrogations et d’indices finement crochetée, Arnaldur Indridason élabore un récit à l’architecture complexe dont il dénoue un à un les fils avec une malice de joueur d’échecs. Sortant de sa réserve, il se permet aussi de jeter sur la Russie un regard sévère et désabusé qui renvoie directement à la situation actuelle. Pourquoi son peuple ne se bat-il pas avec plus d’ardeur pour vivre dans une vraie démocratie et avoir le droit de penser librement, s’interroge l’un de ses personnages. Pourquoi ne brise-t-il pas ses chaînes? Pourquoi supporte-il cet enfer depuis des siècles, de génération en génération. Alors l’homme, un Russe de passage à Reykjavik, tristement reconnaît: « Nous ne connaissons rien d’autre. Nous ne savons pas faire autrement. C’est à croire que la terreur et l’oppression coulent dans nos veines. »
« Les lendemains qui chantent ». D’Arnaldur Indridason. Traduit de l’islandais par Eric Boury, Editions Métailié, Noir, 326 p.
Sur un autre livre d’Arnaldur Indridason: https://polarspolisetcie.com/les-noires-obsessions-darnaldur-indridason/: