Un petit bijou, ce polar! A la seule idée qu’on aurait pu le manquer, on en frémit rétrospectivement. Comme « Les jours de la peur » paru pour la première fois en français l’an dernier, « Passé, présent et après » de Loriano Macchiavelli se révèle un livre étonnant à tous points de vue. Et tout d’abord visuellement, avec son esthétique un brin désuète, sa couverture en carton à rabats et ses photographies toutes en trames et en grisailles qui encadrent le roman comme une fenêtre ouverte. Saluons à ce propos la philosophie des éditions du Chemin de fer qui, avec cet auteur étonnant, inaugurent leur nouvelle collection Train de nuit consacrée « à des romans noirs à haute valeur littéraire ».
Ce parti pris exigeant nous permet en effet de (re)découvrir avec émerveillement l’un des grands du polar italien, un auteur – aujourd’hui nonagénaire – qui envisageait le roman noir comme une façon d' »être contre » et comme un terrain propice à l’expérimentation. Macchiavelli, par exemple, n’a pas hésité à inclure dans ses récits un narrateur-auteur qui, parlant à la première personne et tapis dans l’ombre, partage avec nous ses doutes tout en commentant avec humour les décisions et les actions du personnage principal, créé en 1974, le sergent Sarti Antonio.
L’autre figure clé des romans de Macchiavelli, c’est Bologne, avec ses luttes politiques, ses beautés et ses laideurs. « Passé, présent et après » est même consacré à un quartier spécifique de la capitale de l’Emilie-Romagne, le Pilastro. « A l’époque, explique l’auteur dans la préface de cette nouvelle traduction destinée aux lecteurs francophones (le roman était déjà paru en 2008 chez Métailié sous un autre titre), le Pilastro était éparpillé dans les champs de la banlieue, c’était presque un bourg construit pour donner un toit aux extra-communautaires d’alors: les Italiens venus du sud. »
Une belle et surprenante rencontre
Le temps d’un roman, ce territoire interlope va devenir la seconde maison de Sarti Antonio. Sanctionné par sa hiérarchie pour avoir laissé dérober dans une exposition trois anciennes pièces de monnaie de grande valeur, il est en effet condamné à y patrouiller de nuit avec la voiture 28 en compagnie de son fidèle chauffeur et collègue Felice Cantoni. Parmi toute une galerie de personnages hauts en couleur croisés à l’occasion, il y fait une fort belle et surprenante rencontre, celle d’un enfant de 11 ans, Claudio, qu’il va tenter de protéger et qui, après bien des détours, lui permettra de démasquer son voleur.
Trônant au Panthéon des fins limiers du roman noir, Sarti Antonio reste un flic de polar atypique. Ni superman ni looser, grand buveur de café – mais qu’il trouve rarement à la hauteur du sien – il souffre de crises de colite qui l’obligent à interrompre à tout moment ses enquêtes pour rechercher des toilettes. Droit, foncièrement honnête, avec une conscience professionnelle et un courage à toute épreuve, il manque en revanche d’esprit de déduction et de synthèse. Pour faire le point sur une affaire, il recourt donc régulièrement à l’esprit acéré de son ami Rosas, un « anar de gauche », une tronche qui passe son temps à lire et étudier tout en sifflotant. Pour la bonne bouche, et sans déflorer la chute de « Passé, présent et après », on mentionnera la dernière scène du roman qui voit Sarti Antonio et Rosas, poursuivis par un homme armé, fuir à deux sur un vélo dont l’un et l’autre ignorent s’il a des freins. « La pente s’obstine à être des plus raides. Je ne peux plus rester derrière les deux zouaves et je les laisse filer », nous prévient le narrateur-auteur. Avant d’ajouter avec humour: « Il me déplairait fort de perdre le sergent Sarti Antonio d’une manière aussi triviale. »
« Passé, présent et après ». De Loriano Macchiavelli. Traduit de l’italien par Laurent Lombard. Les éditions du Chemin de fer, 288 p. En librairie le 15 janvier 2025.
A lire aussi:
« Les jours de la peur », la première enquête du sergent Sarti Antonio. De Loriano Macchiavelli. Traduit de l’italien par Laurent Lombard. Les éditions du Chemin de fer, 192 p.