Les romans de l’écrivain et journaliste d’investigation slovaque Arpád Soltész sont très noirs et passablement touffus. Comme la réalité qui l’entoure. Et « Colère », son dernier livre, l’est particulièrement. Normal, ce polar nous immerge une fois encore dans la fange mafieuse et les crimes malodorants de la Slovaquie des années 1990. Une époque où truands de tous poils, services de renseignement (le fameux SIS) et policiers marchaient main dans la main et se couvraient mutuellement. Désespérant pour quiconque rêve de justice, d’équité et de liberté.
Mais rassurez-vous, tous les personnages de Soltész ne sont pas pourris. Quelques-uns résistent, à leurs risques et périls. Exemple, le jeune lieutenant de police Igor Molnár, alias Molly, un idéaliste qui refuse d’admettre son impuissante face aux criminels et à la corruption qui gangrènent la ville de Košice, comme tout le reste du pays. « Il n’obéissait à aucune règle, sauf à la loi, précise l’auteur. Il ne respectait ni les ordres de ses supérieurs ni leurs arrangements. » Exaspérés par ses penchants donquichottesques, quelques criminels locaux vont rapidement le faire taire. Et maquiller le fait qu’ils l’ont eux-mêmes battu à mort en accident de voiture.
Une approche souple et créative de la loi
Mikulás Miko, dit Miki, le partenaire de travail de Molly, n’est pas dupe de cette improblable fiction. A 33 ans, ce vieux briscard de la lutte contre la criminalité est une légende vivante. Certes, lui-même traite la loi « d’une façon créative et flexible », et n’hésite pas à s’allier parfois avec quelques truands, mais il le fait « pour mettre les salopards au trou, pas pour les faire rester dehors », contrairement aux flics ripoux qui l’entourent. Désespéré de n’avoir pas su conserver Molly en vie, il décide de le venger. A ses côtés, le journaliste Pali Schlesinger, « une silhouette d’araignée qui aurait avalé un petit pois », fait preuve lui aussi d’une ténacité et d’un courage sans faille pour faire triompher la vérité et la justice. Leur combat sera rude.
Au fil des pages, grâce au talent d’enquêteur et d’écrivain d’Arpád Soltész, le lecteur prend une véritable leçon de criminologie. Après s’être initié aux règles de base du blanchiment d’argent, il apprend comment s’effectue le partage territorial entre les différents trafiquants de drogue qui opèrent sur le territoire slovaque, puis découvre les dessous juteux et illicites de la privatisation des entreprises. Seule consolation : « La vie d’un mafieux est belle, mais courte », comme le proclame lui-même un membre de la pègre de Košice. Quant à Arpád Soltész, comme le journaliste de son roman, il semble lui aussi « en avoir eu assez ». A 54 ans, après les élections législatives slovaques de 2023 qui ont été remportées par un allié de Viktor Orban, il a quitté son pays et vit désormais à Prague.
« Colère. Dans l’Est, jadis ». D’Arpád Soltész. Traduit du slovaque par Barbora Faure. Agullo, 452 p.
Une réponse
Plaisir de te lire et de suivre tes recommandations.
Cordialement
Pierre-Alain Zuber