Dina Kaminer a été assassinée. On l’a découverte attachée à une chaise dans son salon, le mot « maman » gravé sur le front, une poupée serrée entre ses doigts. Les journaux se sont généreusement épanchés sur le drame. Ils ont rappelé que cette brillante quadragénaire était titulaire d’un doctorat en études de genre et qu’elle était notamment l’auteure d’un article sur les femmes stériles dans la Bible. Ils n’ont pas omis de mentionner qu’elle-même avait choisi de rester célibataire sans enfants, s’affirmant ainsi comme la cheffe de file d’un courant très controversé en Israël.
Dina est-elle morte à cause de son refus d’enfanter? C’est ce que nous suggère fort habilement Sarah Blau – l’une des voix montantes de la scène littéraire féministe israélienne – dans les premières pages de son polar « Filles de Lilith ». Quand ensuite le cadavre de Ronit, elle aussi célibataire sans enfant, est retrouvée dans une mise en scène similaire, l’idée d’un tueur en série se profile. Et l’on commence à craindre pour la narratrice, l’attachante et tourmentée Sheila Heller. Cette dernière avait été très proche des deux victimes durant ses études. Elle partage toujours leurs idées mais semble désormais surtout éprouver haine et jalousie à leur égard. Ses jours sont-ils comptés? Sheila elle-même nous rassure: « Si je suis le détective de cette histoire, j’ai au moins la certitude de rester en vie jusqu’à la dernière page. »
L’ombre de la sulfureuse Lilith
Des clins d’œil, de l’ironie, de l’autodérision, on en trouve à foison dans ce déroutant polar. Une mise à distance du suspense et de l’intrigue qui n’empêche pas l’auteure d’éprouver une indéniable tendresse pour ses personnages. Prenez Sheila qui tente non sans peine de concilier ses presque quarante-deux ans et son attirance pour les jeunes hommes. Tout en pestant contre ses muscles faciaux qui se relâchent et sa peau qui se dessèche, elle travaille comme conférencière au musée de la Bible où trône une collection de figurines représentant aussi bien Jacob qu’Abraham, Sarah ou Hagar. La sculpture de la sulfureuse Lilith chère aux féministes, et dont l’ombre plane sur ce récit, en a été bannie. Une femme grande, imposante, poilue et nue plantant « ses dents dans un nouveau-né, tel un prédateur vorace », cela n’aurait pas été très casher!
« Filles de Lilith ». De Sarah Blau. Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen. Les Presses de la Cité, 252 p.
2 réponses
voilà un curieux roman d’une auteure israélienne que je ne connais pas du tout ! un premier roman?
Auteure de plusieurs romans et pièces de théâtre, animatrice d’émissions radiophoniques et télévisées, Sarah Blau a été lauréate en 2015 du prestigieux Prix Levi Eshkol. Filles de Lilith est son premier roman publié en France.