Les polars ancrés dans des pays lointains sont parmi les plus inspirants. A condition que leurs auteurs y soient nés, ou y aient passé une partie importante de leur vie. Cette familiarité avec un territoire, sa langue, ses usages et son histoire prévient tout exotisme de pacotille. Le roman policier devient alors une porte d’entrée ambitieuse et riche pour aborder un autre territoire, une autre culture, s’initier à l’ailleurs sans préjugés ni clichés.
Situé au Nigéria, « Les colliers de feu » de Femi Kayode relève de cette catégorie-là. Son auteur, qui vit aujourd’hui en Namibie, a grandi à Lagos. Il a étudié la psychologie clinique avant d’entamer une carrière dans la publicité. Après avoir écrit pour la télévision et le théâtre, il a suivi une formation en creative writing couronnée de succès. « Les colliers de feu », son premier livre, a reçu le Little, Brown/UEA Crime Fiction Award. Il est en cours de traduction dans une dizaine de pays.
Trois étudiants lynchés par la foule
Philip Taiwo, l’enquêteur et personnage principal de Femi Kayode, a plus d’un point commun avec lui. Nigérian, docteur en psychocriminologie, il vient de rentrer des Etats-Unis avec sa femme – désormais professeur de droit à l’Université de Lagos – et ses enfants. Lui-même donne des cours ponctuels à l’Ecole de police. C’est dans ce contexte, pas toujours simple, d’un retour au pays et à ses racines, qu’il se retrouve embarqué dans la sordide et sale affaire des « Trois d’Okriki ». Accusés de vol, trois étudiants ont été lynchés et brûlés vifs deux ans plus tôt par une foule en furie. Les assassins ont fait usage de la tristement fameuse technique du collier de feu, ou supplice du pneu. Le tout a été filmé en vidéo. De quoi donner des cauchemars aux plus endurcis.
La police a – distraitement – enquêté. Plusieurs personnes ont été arrêtées. En gros, on connaît désormais les assassins, mais on ignore toujours la vraie raison de ce déferlement de haine. Emeka Nwamadi, directeur général de la National Bank et père d’une des victimes, charge Philip Taiwo de la découvrir en mettant à sa disposition d’importants moyens. Notre criminologue a beau expliquer qu’il n’est pas enquêteur mais « psychologue, spécialisé dans les mobiles qui sous-tendent certains crimes et dans la manière dont ils sont commis », rien n’y fait. Après un voyage en avion, qui à lui seul tient déjà de l’épopée, il débarque à Port Harcourt, dans le sud-est du pays. Son but: se rendre sur le lieu du crime, puis à l’université où étudiaient les trois victimes. Il va devoir rapidement mettre en pratique ses analyses sur le comportement des foules et les phénomènes de lynchage.
Ragoût de chèvre et igname pilée
Très habilement, l’auteur utilise le statut de son personnage – à cheval sur les cultures et, à certains égards, presque étranger dans son propre pays – pour nous faire découvrir la singularité de la vie, et notamment de la vie étudiante, nigériane. On s’initie avec lui à l’existence de nombreuses sectes sur les campus. On découvre que les gens aisés paient un « garçon de queue » pour attendre à leur place dans les aéroports. On apprend qu’il suffit de s’acquitter d’une certaine somme pour franchir sans peine un barrage de la police militaire. Et notre héros n’hésite pas à passer outre les risques d’une intoxication alimentaire pour renouer avec les délices de son adolescence et déguster dans un buka – une sorte de cantine – du ragoût de chèvre accompagné d’igname pilée. A s’en lécher les doigts, semble-t-il.
« Les colliers de feu ». De Femi Kayode. Traduit de l’anglais par Laurent Philibert-Caillat. Les Presses de la Cité, 414 p.