Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

En littérature, comme en balade, il faut parfois modérer son allure pour explorer les chemins de traverse. Il serait dommage en effet de manquer les coquelicots ou les baies qui poussent sur les bas-côtés de nos habitudes. « Cette corde qui m’attache à la terre », le premier roman de Lorina Bălteanu, est de cette trempe-là. Une pépite fragile et discrète, un peu brute par endroits, poétique, terriblement émouvante et juste. Cet ovni littéraire aux allures autobiographiques prend racine dans une terre lointaine et pour beaucoup méconnue, voire exotique : la Moldavie, et plus précisément la Moldavie de l’époque soviétique, un petit pays enclavé entre la Roumanie et l’Ukraine, dont la capitale est Chișinău et la langue officielle le roumain.

Poétesse, journaliste et créatrice de bijoux, Lorina Bălteanu vit actuellement à Paris. Une ville, un ailleurs, qui hantent comme un aimant lointain son roman. Benjamine d’une nombreuse fratrie, la narratrice du livre ne cesse en effet de répéter qu’elle veut partir, s’en aller, de quitter son village perdu pour vivre enfin. A défaut de la France, à défaut même de Bucarest où vit l’excentrique tante Muza, elle prend le car et s’en va regarder le Dniestr. « Je le suis des yeux. Je déploie mes voiles et je vogue au large, vers la mer. (….) Si je ne vais pas au moins une fois par mois voir le Dniestr couler vers l’aval, je tombe malade », nous confie-t-elle.

Un quotidien inventif et malicieux

Si le roman s’achève à l’aube d’un départ, il commence par une arrivée. En l’occurrence une naissance, celle de la narratrice, racontée par elle-même. Un cri, de peur. « Maman, c’est le camion du kolkhose qui l’avait emmenée à l’hôpital, moi, papa m’a ramenée à la maison sur la luge », explique-t-elle ensuite. Le bébé rejoint alors ses frères et sœurs sur la lejanka, l’espace entre le poêle et le mur, aménagé en couchage. Chapitre après chapitre, sans souci de logique contraignante, l’enfant qui grandit égrène avec un regard curieux, poétique et malicieux, un quotidien très pauvre mais riche en inventivité. On apprend ainsi comment transformer les bonbons fourrés à la marmelade abîmés en eau-de-vie ou ce qu’il faut faire quand le pain arrive « mal cuit » dans le magasin du père.

C’est une époque où même la littérature de langue roumaine est publiée en caractères cyrilliques et où un homme qui élève des pigeons différents – des pigeons de race avec un toupet sur la tête et des plumes frisées – peut être condamné à la déportation en Sibérie avec toute sa famille. L’enfant qui grandit nous apprend aussi qu’il est bon d’avoir en réserve un chemin que l’on n’a jamais pris et que « l’hiver, c’est comme un mardi. Triste et sans espoir. Il te tient attaché à la maison comme un chien à sa chaîne ».

 

« Cette corde qui m’attache à la terre ». De Lorina Bălteanu. Traduit du roumain par Marily le Nir. Editions des Syrtes, 202 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

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Photo: Lara Schütz

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