Stupéfaction ! Incrédulité ! Ravissement ! Bien que paru en 1945, « La Lucarne » de Jean Eckert (1910-1995) reste totalement actuel. Et son auteur, notre parfait contemporain. Publié chez Gallimard, salué notamment par André Gide et Raymond Queneau, cet écrivain talentueux aux multiples visages a connu un succès certain avant de tomber dans l’oubli. Depuis 2005, il revient sur le devant de la scène grâce aux Editions Joëlle Losfeld qui, dans leur collection Arcanes, republient peu à peu ses romans, inédits ou introuvables. « La Lucarne » en est le neuvième. Et sa lecture s’avère un authentique enchantement.
Chez Jean Meckert, le biographique flotte toujours à fleur de page. Et pour cause ! . Né en 1910 dans une famille qui rapidement se disloque, il connaît, enfant, l’abandon – il grandit dans un orphelinat – la pauvreté, le froid et la faim. Après son certificat d’études, il effectue différents petits boulots, se retrouve au chômage puis s’engage dans l’armée pour fuir la misère. De retour à la vie civile, il commence à écrire, mais la guerre éclate. Meckert est mobilisé, puis interné en Suisse avec quelque 38 000 soldats français. En décembre 1941, « Les coups », son premier roman, paraît aux Editions Gallimard. Un succès commercial ! Le romancier débutant abandonne alors son travail pour se consacrer à l’écriture. Parallèlement, il écrit, entre 1950 et 1985, vingt-et-un romans policiers publiés dans la Série noire sous le pseudonyme de John Amila, puis de Jean Amila.
Surmonter la fatalité des guerres
Blancs ou noirs, ses livres partagent avec la même fougue son engagement libertaire et son antimilitarisme militant. Le rêve d’un monde autre dont Edouard Gallois, le protagoniste de « La Lucarne », est à la fois l’incarnation et le porte-parole. « Tout angoissé d’humble peine quotidienne, tout serré de malchance », ce jeune chômeur, ancien comptable, contemple la Seine un jour d’octobre 1938 en pensant à la guerre. Il est accoudé sur le pont d’Iéna lorsque, littéralement, une certitude vient le visiter : « La nécessité absolue de la paix ». Il explique alors à Gisèle, sa femme inquiète et sceptique, qu’il faut former la grande armée de la paix pour surmonter la fatalité des guerres, « empêcher qu’il y ait toujours des millions de morts vainqueurs et de morts vaincus ». Edouard, désormais, consacre ses forces et son énergie à transmettre ses convictions. Il est prêt à tout sacrifier pour « agir un peu pour la grande paix du monde ».
Certains le traitent de communiste, d’autres de pacifistes. Ils n’ont rien compris. Edouard ne croit ni aux idéologies ni aux bons sentiments. Mais il peine à le faire comprendre. Sa femme finit par le quitter, il perd son appartement, la santé, et jusqu’à la raison. Jusqu’à ce qu’au soir du 14 juillet 1939, par la douceur de la promesse d’une femme, « Edouard Gallois redevenu bonhomme » retrouve le rire et un nouveau goût à vivre.
« La Lucarne » n’est toutefois pas que l’histoire d’un homme humble et remarquable. C’est aussi celle d’une langue qui résiste, se rebelle et constamment s’invente sans afféterie ni fioritures. « Il y a toujours du monstre antédiluvien dans une idée qui prend forme » écrit ainsi Jean Meckert avant d’évoquer plus loin des petits cris qui font « comme du lavage de nuages ». Et ses images, ses phrases apparemment anodines, ses descriptions aussi, sont si belles qu’on se retrouve un peu jaloux de ce texte qui, quatre-vingts ans plus tard, reste toujours aussi jeune et juste.
Les œuvres de Jean Meckert 9, « La Lucarne ». Présenté par Stéfanie Delestré et Hervé Delouche.. Editions Joëlle Losfeld, collection Arcanes, 246p.
Une réponse
Merci infiniment, c’est une très belle critique de ce grand auteur qu’est Jean Meckert
Bien à vous
Joelle Losfeld