La folie, la mort, le suicide, la perte, le manque et la soif d'amour. Une fois encore, une fois de plus. Dans "Sans partir", le jeune auteur et metteur en scène romand Julien Mages revient sur ses obsessions comme on revient sur ses pas. Avec l'espoir de trouver l'objet perdu, de dénicher la faille, une porte de sortie peut-être. Que le spectateur prenne garde toutefois de ne pas se croire trop vite en terrain connu. Julien Mages est un talentueux trafiqueur de mots qui parvient toujours à se dérouter avec malice pour scruter les ornières du sens et explorer les bas-côtés du possible.
Long poème-monologue, "Sans partir" commence dans le chuchotage et la pénombre. Sur un plan incliné, un homme – le comédien Juan Bilbeny, vêtements sobres et chaussettes rouges trouées –s'éveille à la réalité, donc à la souffrance. Dans un environnement sonore tissé avec finesse par Immanuel de Souza, il s'anime, s'ébroue avant de nous emmener dans une promenade hallucinée à travers Lausanne, entre lac, gare et cimetière.
Après un début un peu flottant – il s'agissait de la première, Juan Bilbeny devient de plus en plus convainquant. Il réussit le tour de force d'incarner l'émotion et la folie sans caricature ni pathos. Certes, sa gestuelle manque parfois d'incarnation, de vérité. Mais il se rattrape magistralement quand il s'agit d'articuler la parole au silence. Errance à la fois physique et mentale, sa déambulation se transforme en une confession douloureuse toujours aux frontières du délire. Un voyage en enfer paradoxalement maîtrisé et construit grâce au fil rouge de la ville. Et l'on en vient à sourire quand le comédien lâche, imperturbable: "Le problème du lac, c'est qu'il manque de sel."
"Sans partir". Texte et mise en scène Julien Mages. Lausanne. Arsenic. Jusqu'au 29 janvier.