Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

« Le salon du prêt-à-saigner » de Joseph Bialot n’est pas sans défauts. Son auteur se laisse parfois séduire par des jeux de mots faciles tout en affichant un goût quelque peu immodéré pour les énumérations et les listes. Ce roman nerveux et plein d’humour n’en reste pas moins une pépite au royaume du polar français. Paru en 1978, fraîchement réédité à la Série noire avec une préface de l’écrivain Tonino Benacquista, il nous plonge avec un talent fou et une énergie contagieuse dans le souk haut en couleurs du quartier du Sentier, « un quartier de Paris tout entier consacré au prêt-à-porter », précise l’auteur, et « l’un des derniers villages vivants » de la capitale.

C’est dans cet environnement pittoresque, laborieux, cosmopolite, parmi les boutiques et les chiffons, entre les prostituées et les « aubergines » zêlées, que sévit un tueur aussi cruel qu’insaisissable. Très vite, le lecteur connaît son identité, il partage même son intimité. Le commissaire Faidherbe, qui arbore « la dégaine d’un personnage de Brétecher », et son collègue Brancion sont moins « chanceux ». Ils font ce qu’ils peuvent, avec les moyens qu’ils ont, et un certain fatalisme. Une errance qui permet à l’auteur de déployer tout son talent de portraitiste de la ville, des gens et des choses. Avec au menu, notamment, quelques courses poursuites d’anthologie.

A l’image de son roman, la vie de Joseph Bialot – né Joseph Bialobroda en 1923 à Varsovie – a été pleine de rebondissements et de drames. Enfant, il s’installe dans le quartier de Belleville à Paris avec sa famille d’origine juive. Dix ans plus tard, fuyant les Allemands, il se réfugie à Bordeaux, Pau puis dans la région lyonnaise où il exerce divers métiers avant d’entrer dans la résistance. Arrêté en juillet 1944, il est envoyé à Auschwitz. Il sera libéré en janvier 1945 par l’Armée rouge. De retour à Paris, il rejoint l’entreprise de prêt-à-porter de ses parents, et passe une licence de psychologie.

Le traumatisme d’un rescapé des camps

Chez Bialot, l’écriture intervient donc sur le tard. Il a déjà 55 ans quand paraît son premier roman, « Le salon du prêt-à-saigner ».  Suivront une trentaine d’autres ouvrages, des romans policiers et historiques, ainsi qu’un récit-témoignage, « C’est en hiver que les jours rallongent », publié en 2002, dix ans avant sa mort. L’écrivain y évoque le traumatisme laissé par l’expérience concentrationnaire.  Il avait déclaré à ce propos : « Il m’aura fallu plus de vingt-cinq ans et une psychanalyse pour réussir à sortir du camp ».

Pas étonnant donc si, dans « Le salon du prêt-à-saigner », le méchant se révèle vraiment méchant, voire monstrueux. Face à ce tueur qui coupe dans les chairs comme un tailleur dans ses tissus, l’écrivain déploie tout l’éventail des stratégies qu’il a lui-même développées pour contrer le fantôme de l’horreur : une allégeance sans partage aux charmes de la langue et à la toute-puissance de l’imaginaire. Sans oublier bien sûr l’humour, un humour juif parfois, souvent, teinté d’humour noir.

 

« Le salon du prêt-à-saigner ». De Joseph Bialot. Préface inédite de Tonino Benacquista. Gallimard, Série noire, 240 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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