Après avoir tourné la dernière page de « Eau de rose et soda bread », on se dit qu’il serait vraiment merveilleux de rencontrer son auteure. Son livre est si riche, si plein de vie, de subtilité et d’espoir que l’on en oublie que Marsha Mehran est morte en Irlande en 2014, dans des circonstances restées mystérieuses. Elle n’avait que 36 ans. Sa vie avait été marquée par le déracinement et l’errance.
Marsha Mehran, en effet, naît en 1977 à Téhéran, à la veille de la révolution. Fuyant les troubles, sa famille s’établit à Buenos Aires puis aux Etats-Unis. A la suite du divorce de ses parents, l’adolescente reprend ses valises. Elle séjourne en Australie avant de revenir aux Etats-Unis. Elle se marie avec un Irlandais, s’installe avec lui dans son pays, s’immerge avec passion dans l’écriture, et finit par divorcer. Elle a 27 ans lorsque paraît son premier livre, « Une soupe à la grenade ». Un bestseller traduit en quinze langues et publié dans vingt pays. « Eau de rose et soda bread » en est la suite, mais peut se lire indépendamment. A ces deux romans s’ajoute « The Saturday Night School of Beauty », paru à titre posthume, qui se passe à Buenos Aires durant la guerre des Malouines.
Contrastant avec cette vie plutôt sombre, « Eau de rose et soda bread » rayonne d’humanité profonde et de tendresse. Le roman tourne autour d’un lieu magique et fascinant, le Babylon Café. Ce restaurant, où trône un majestueux samovar, est tenu par trois jeunes sœurs qui, fuyant l’Iran, se sont installées à Ballinacroagh, dans le comté de Mayo, sur la côte ouest de l’Irlande. Marjan, Bahar et Leyla Aminpour ont conquis une clientèle de fidèles et d’amis – dont le très pittoresque père Mahonay – qui ne peuvent plus se passer de leur thé à la bergamote, de leur pain barbari et de tous ces mets délicieux qui fleurent bon le cumin, la coriandre et le fenugrec.
Bien sûr, tout n’est pas rose à Ballinacroagh. Comme partout, le bonheur y est entremêlé de doutes, de difficultés et de regrets. Sans parler de quelques bigotes irascibles et sans pitié aussi intransigeantes dans leur haine jalouse que d’autres le sont dans leur générosité. Il y a aussi le passé douloureux des jeunes femmes – un séjour en prison pour l’aînée, un mari violent pour la seconde, le décès de sa mère à sa naissance pour la cadette – qui resurgit par brides et s’inscrit de façon particulièrement organique dans le récit.
Une mystérieuse jeune femme
Dans ce quotidien illuminé par les croyances et légendes locales intervient alors un événement qui fragiliser tous les équilibres. Une jeune femme est retrouvée mourante sur le rivage. A-t-elle tenté de se suicider ? A-t-elle essayé d’interrompre une grossesse non désirée ? Elle est secrètement secourue par Estelle Delmonico, la veuve italienne d’un boulanger magicien et l’un des très beaux personnages de ce roman, avec la complicité de l’aînée des trois sœurs.
Les deux femmes la surnomment la sirène, car elle a les mains palmées. Qui est-elle ? D’où vient-elle? Impossible de le savoir. La sirène reste mutique et prostrée. Et ce silence s’inscrit comme une douleur, une blessure en creux dans ce livre plein de saveurs, de couleurs, de sagesse et d’amour. Un livre singulier, qui se lit comme une ode au pouvoir de résilience et de guérison des femmes. Et qui se termine sur un étonnant dialogue, autour d’un bol de minestrone, entre l’auteur et l’un de ses personnages, Estelle Delmonico. L’occasion, pour Marsha Mehran, de nous révéler quelques bribes de son passé, notamment l’origine de son rapport particulier à la nourriture. Il remonte, se souvient-elle, à son plus jeune âge, l’époque où elle regardait ses parents « préparer des plats élaborés aux parfums délicieux pour le petit restaurant dont ils étaient propriétaires en Argentine ».
« Eau de rose et soda bread ». De Marsha Mehran. Traduit de l’anglais par Santiago Artozqui. Editions Picquier, 376 p.
Une réponse
Effectivement, ça a bien l’air d’être un ouvrage qui mérite d’être lu!