Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Une fois n’est pas coutume, délaissons le polar pour déguster un petite merveille, « Comment j’ai rencontré les poissons » du Tchèque Ota Pavel, une chronique familiale douce amère pleine d’humour, d’intelligence et de tendresse. Publié en 1971, deux ans avant la mort de son auteur, ce livre vient de sortir en poche dans la collection Folio. Et c’est le grand écrivain italien Erri De Luca qui, en quatrième de couverture, lui sert d’ambassadeur en nous promettant « une lecture physiquement contagieuse, qui produit des bulles de joie sous la peau ». Il dit vrai! Ce livre est un régal.

Une vie marquée par la tragédie

Qui est Ota Pavel? De son vrai nom Otto Popper, il est né en 1930 à Prague d’un père juif et d’une mère chrétienne. Ses deux frères aînés, Jirka et Hugo, l’initient à la pêche. Arrive la Seconde Guerre mondiale qui met fin à cette vie heureuse. Les enfants ne peuvent plus aller à l’école, la famille Popper quitte Prague pour s’installer dans la maison des grands-parents à Buštěhrad en Bohème – on y trouve aujourd’hui un musée consacré à l’écrivain. Les deux aînés puis le père sont envoyés en camp de concentration. Par chance, ils survivront et reviendront à la fin de la guerre, plus ou moins mal en point. C’est à ce moment-là que la famille change de nom pour prendre celui de Pavel.

Joueur de hockey passionné, le jeune Ota rêve de devenir professionnel. Il doit y renoncer mais décroche un poste de journaliste sportif à la radio nationale. Et c’est lors d’un reportage aux Jeux olympiques d’hiver d’Innsbruck en 1964 que se manifestent les premiers signes de sa maladie mentale. Après avoir reçu des injures antisémites de la part d’un joueur, il part dans les montagnes et met le feu à une grange dont il fait sortir les animaux pour les épargner. « Je désirais allumer une grande lumière pour chasser le brouillard », écrira-t-il pour expliquer son geste. Diagnostiqué bipolaire, il est hospitalisé à de nombreuses reprises avant de mourir, d’une crise cardiaque, le 31 mars 1973. C’est durant cette période de souffrance extrême qu’il a écrit ses livres. Deux d’entre eux sont traduits en français.

Rivières et poissons

« Comment j’ai rencontré les poissons » évoque tout cela avec humour et malice, avec un brin de mélancolie parfois, mais sans tristesse. Et avec une fraîcheur de regard qui trouve ses racines dans l’enfance. Au gré de descriptions magiques et sensibles, l’écrivain partage avec le lecteur son amour pour les ruisseaux, les rivières, les étangs et les barrages à poissons, « ce que j’avais jamais vécu de plus beau ». A ses côtés, on guette, on braconne, on capture. On s’émerveille devant les chevaines argentés, le barbeau élégant, les anguilles d’or, les gardons ventrus des eaux calmes et les vandoises des courants rapides. Sans oublier de somptueuses carpes malheureusement confisquées par la Wehmarcht.

Champion du monde dans la vente d’aspirateurs

Au fil de ce voyage dans le passé, Ota Pavel compose également un magnifique portrait de son père Leo. Un homme excessif et généreux, recordman du monde de la vente d’aspirateurs et de réfrigérateurs pour la firme Electrolux et capable de faire un miracle pour offrir à ses fils un dernier repas de viande avant leur départ pour le camp de concentration. Lui-même revenu sain et sauf de l’enfer, ce père relève alors avec une énergie déconcertante les plus improbables défis comme la diffusion d’un attrape-mouches prétendument révolutionnaire ou l’élevage de lapins argentés de Champagne. Et quand, alors qu’il est mourant, une ambulance vient le chercher pour l’emmener à l’hôpital, il accroche fièrement au portillon de sa maisonnette une belle pancarte qui proclame: « Je reviens de suite ».

« Comment j’ai rencontré les poissons ». De Ota Pavel. Traduit du tchèque par Barbora Faure. Folio, 276 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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