Aussi légendaire qu’étrange, le commissaire divisionnaire Theodor Kolnik possède de curieuses habitudes. Il arrive en retard, repart avant l’heure et passe son temps à relire « Crime et châtiment » de Dostoïevski, « Le procès » de Kafka et l’Ancient Testament. Bien qu’il n’aille jamais voir les cadavres et délègue la plupart des enquêtes à ses adjoints, il n’a toutefois pas son pareil pour élucider une affaire. Des éclairs de génie quasi diaboliques. « Certains disaient que Kolnik connaissait le mal aussi bien qu’il connaissait ses livres, qu’il fouillait en lui-même jusqu’à ce qu’il trouve le bon passage », écrit Ulrich Effenhauser au début de « Je vis la Bête surgir de la mer ». De quoi mettre la puce à l’oreille du lecteur attentif.
Mi-polar, mi-roman d’espionnage, l’histoire commence en Bavière en1978. Un professeur de musique apparemment sans histoire est tué dans l’explosion de sa voiture. L’assassinat est rapidement revendiqué par la Fraction armée rouge. Friedrich Gutleb, la victime, serait un ancien nazi, un bourreau sanguinaire ayant échappé à la justice. Peu après cette affaire, le commissaire Kolnik – connu, lui, comme un résistant éprouvé par les camps de concentration – est assassiné alors qu’il passe quelques jours de vacances à Prague. Y aurait-il un lien entre les deux affaires?
Au-delà du rideau de fer
Alwin Keller, l’adjoint et successeur désigné de Kolnik, mène l’enquête en compagnie de la fille du défunt. Il traverse le rideau de fer, part à la recherche de témoins, oublie ses certitudes. En recollant les morceaux d’un puzzle soigneusement déchiqueté, il découvre une vérité bien cachée en haut lieu: des anciens criminels nazis ont été recrutés par les services secrets communistes afin d’espionner la République fédérale d’Allemagne pour le compte de la Sécurité d’Etat tchèque.
Dans ce roman policier partiellement inspiré d’un fait réel, Ulrich Effenhauser –historien de formation, né en 1975 – soigne autant la forme que le fond. Pas question pour lui de se contenter d’un récit linéaire agrémenté de classiques flash-back. Il multiplie les collages stylistiques, les ruptures temporelles et narratives, inclut des lettres, des documents, nous convie même au « visionnement » d’un petit film datant de la Seconde Guerre mondiale. Propre aux premiers romans, cette surabondance baroque peut égarer. Un petit retour en arrière alors s’impose, confirmant combien ce texte est riche et passionnant.
« Je vis la bête surgir de la mer ». D’Ulrich Effenhauser. Traduit de l’allemand par Carole Fily. Actes Sud, coll. Actes noirs, 240 p.