Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Comprendre, interpréter parfois, savoir écouter. Trois attitudes, trois gestes qui accompagnent Rosie Pinhas-Delpuech dans sa pratique de traductrice (de l’hébreu), d’éditrice et d’auteure (https://polarspolisetcie.com/rosie-pinhas-delpuechtraduire-comme-on-ecrit/). Après avoir, dans ses récits précédents, scrutés puis replacé dans leur contexte historique et culturel les moments charnières de son existence, elle se focalise dans « Naviguer à l’oreille » sur son enfance et son adolescence stambouliote.

Rosie Pinhas-Delpuech est née en 1946 dans une famille juive séfarade curieusement divisée par les langues. D’un côté le français du père, Alfred, de l’autre l’allemand de la mère, Greta, en plus du turc de l’école et de la rue. Greta a effectué toute sa scolarité dans une langue qui va se retrouver maudite par l’histoire, mais qu’elle adore et pratique avec passion. Une langue qui, à l’époque, était encore « sans tache ». Au moment de gagner sa vie, c’est encore en allemand et avec un Allemand venu de Hambourg en plein triomphe du nazisme que Greta va travailler.  Et toute sa vie, écrit l’auteure, Greta n’aimera pas « qu’on dise du mal de l’Allemagne, des Allemands, de son allemand. Quoi qu’il arrive. Quoi qu’il soit arrivé. »

Une enquête ouverte à toutes les surprises

Il y a quelque chose de douloureux, de presque scandaleux, dans cette adoption rendue contre nature par la Seconde Guerre mondiale. Mais comment faire quand le chant des bourreaux fait écho aux chansons apprises dans l’enfance? Pour comprendre cet attachement, se refusant à condamner mais pas à désapprouver, Rosie Pinhas-Delpuech a choisi d’enquêter. A sa manière, un peu zigzagante, volontairement affective, ouverte à toutes les surprises et incluant parfois des fragments de textes ou de longues citations plaquées sur son récit comme des raccommodages ou des greffes vivifiantes.

Persévérante, elle tisse et retisse ses souvenirs avec l’Histoire, tout en se plongeant dans les écrits de Paul Celan et de Hannah Arendt. Un questionnement qui culmine, en 1961, avec le procès d’Adolf Eichmann diffusé à la radio et avec les témoignages des victimes de la Shoah qui, dans un hébreu encore trébuchant, vont révéler l’horreur vécue, l’horreur subie. « Dans la langue des survivants, sous le poids de ce qu’ils disent, cette langue neuve craque de toutes parts, comme un mince emballage en cellophane autour d’un objet hérissé de pointes », écrit Rosie Pinhas-Delpuech. Cet hébreu, jeune adulte, elle le découvrira peu après lors d’un premier voyage en Israël. Elle l’adoptera sans réserve. Et pour toujours.

 

« Naviguer à l’oreille ». De Rosie Pinhas-Delpuech. Actes Sud, 182 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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