Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ». Confrontant présent et passé, ce troisième polar traduit en français s’intéresse à un pan peu connu de l’histoire nationale. Il rappelle qu’en 1941 de jeunes Finlandais se sont engagés volontairement au sein des Waffen-SS pour lutter aux côtés de l’Allemagne nazie contre l’ennemi soviétique. Des jeunes gens « partis en quête de gloire et d’honneur » et qui, loin de revenir en héros, ont dû porter toute leur vie les stigmates de ce qu’ils avaient fait et vécu.
Le récit s’ouvre, en septembre 2019, avec une agression totalement improbable. Albert Kangasharju, un homme de 97 ans vivant en maison de retraite, est brutalement enlevé lors de sa promenade du soir par deux individus vêtus de noir. Sauvé par son infirmière, le vieillard est admis dans un état grave à l’hôpital où il est victime d’une deuxième agression. Et où il est à nouveau sauvé in extremis, cette fois-ci par Jari Paloviita, le policier venu prendre sa déposition. Peu après, deux collègues de Paloviita découvrent près du lieu de l’enlèvement un tabouret renversé et un nœud coulant attaché à la fourche d’un grand arbre. Pas de doute, il s’agissait bien d’une tentative de meurtre. Le nœud, en particulier, retient l’attention des enquêteurs. Il s’agit d’un nœud très spécial, appelé « Yosemite », utilisé par les grimpeurs et les alpinistes.
Une vie de mensonges
Mais qui pouvait bien en vouloir à ce paisible retraité aimé de tous ? Albert Kangasharju était en outre un ancien combattant méritant et couvert de médailles, états de service dont il se glorifiait volontiers. Et si c’était justement là que se cachait la clé de l’énigme ? Et si la longue vie de cet homme reposait sur des silences puants et de lâches mensonges ? Sceptiques au départ, les policiers vont peu à peu se rallier à cette hypothèse. Notamment quand un deuxième homme très âgé, un ancien combattant lui aussi, est enlevé et exécuté par pendaison. Stupéfaction : on découvre en fouillant sa maison que Klaus Halminen s’était battu dans les rangs de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale.
Grâce à l’écrivain Arttu Tuominen, le lecteur francophone découvre tout un pan complexe de l’histoire finlandaise. Il apprend que se sont succédé la guerre d’Hiver, la guerre de Continuation et la guerre de Laponie, tout en se rappelant que le pays fut, dans un premier temps, l’allié de l’Allemagne nazie. Très précis, habilement construit, n’escamotant ni les scènes de guerre ni les massacres mais sans s’y complaire, « Tous les silences » se permet aussi des accents lyriques pour décrire un état d’âme, un paysage de brouillard et d’eau, « un parfum d’automne, de feuilles mouillées et de pelouse ». De quoi se régaler en attendant la suite. Les trois derniers volets de la série « Delta noir » – en référence au fleuve Kokemäenjoki qui se jette dans la mer Baltique – n’ont pas encore été traduits en français. Mais cela ne saurait tarder, et ils s’annoncent passionnants.
« Tous les silences ». D’Arttu Tuominen. Traduit du finnois par Claire Saint-Germain. Editions de La Martinière, 422 p.