Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Vous avez aimé « Le Liseur » de Bernhard Schlink ? Découvrez une autre facette de son talent, le polar. « Brouillard sur Mannheim », son premier roman policier, vient d’être réédité à la Série Noire dans une traduction de Martin Ziegler révisée par Olivier Mannoni. Coécrit avec Walter Popp, ce roman complexe est traversé, comme toute l’œuvre de Schlink, par l’histoire récente de l’Allemagne et l’héritage nauséabond du nazisme. Premier volet d’une trilogie, « Brouillard sur Mannheim » introduit par ailleurs de façon fort habile le personnage trouble et troublant de Gerhard Selb, un ancien procureur du Reich devenu détective privé et qui, à 68 ans, n’a pas fini d’en découdre avec son passé.

Quand il écrit « Selbs Justiz » – le titre allemand du livre – en 1986, Bernhard Schlink a 42 ans. Il est juriste, professeur de droit public, et mène une brillante carrière universitaire. Lors d’une invitation pour un semestre à l’Université d’Aix-en-Provence, il se lance avec son ami Walter Popp – avocat de formation et traducteur littéraire – dans la rédaction d’un roman policier, genre qu’ils apprécient l’un et l’autre. Publié l’année suivante chez Diogenes Verlag à Zurich, il fera l’objet d’une adaptation télévisuelle en 1991.

Clairement daté mais toujours actuel, ce polar nous plonge dans l’Allemagne du miracle économique et du libéralisme triomphant. Il a pour cadre les villes de Mannheim et de Ludwigshafen enténébrées par les émanations méphitiques de la RCW, la Société rhénane de Chimie. Une entreprise gigantesque derrière laquelle on devine aisément la célèbre BASF (Badische-Anilin & Soda-Fabrik). « Le vent et le rythme de production de la RCW déterminent si la région sent le chlore, le soufre ou l’ammoniaque, et à quel moment », précisent ironiquement les auteurs.

Un Robin des Bois germanique

A part cela, tout a l’air parfaitement tranquille dans cette contrée qui ronronne sur son passé assoupi. Or voilà que Selb, notre sympathique enquêteur – car il l’est, assurément –  se voit littéralement convoqué à déjeuner par le directeur général de la RCW, son vieil ami Korten. Après le bœuf à la crème et les crudités, ce dernier lui confie une mission délicate : découvrir la personne qui sème la pagaille dans le système informatique de l’entreprise. Des interventions dignes d’un Robin des Bois germanique avec, entre autres, la commande de cent mille macaques au lieu de la centaine dont le département de la recherche a besoin tous les six mois. Et il ne s’agit là que d’un exemple. De quoi faire frémir la direction d’une firme qui manipule des produits hautement toxiques.

Tout en réprimant sourire et admiration devant l’audace des pirates, Selb se met en piste. Il patine, mais persévère. Son enquête nous vaut une authentique et très instructive visite guidée du site de la RCW, avec ses arrière-cours, ses no man’s land et ses hangars désaffectés. Après bien des péripéties qui lui permettront peut-être de retrouver l’amour, notre « héros » parvient à démasquer le coupable. Hélas, tragique coïncidence, l’homme se tue peu après dans un accident de voiture inexpliqué. Oui, pas de doute, ça sent le soufre ! Selb prend alors conscience que les véritables voyous se trouvent sans doute à la tête de l’entreprise. Et que certains secrets mal enfouis pourraient mettre à mal la paix qu’il a lui-même tenté de conclure avec son passé nazi. Décidément, à Mannheim, même les fantômes n’ont pas bonne mine

 

« Brouillard sur Mannheim ». De Bernhard Schlink et Walter Popp. Traduction de l’allemand de Martin Ziegler, révisée par Olivier Mannoni, préface inédite de Vincent Platini. Gallimard, Série Noire, 368 p.

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

ABONNEZ-VOUS À CE BLOG PAR E-MAIL.

Saisissez votre adresse e-mail pour vous abonner à ce blog et recevoir une notification de chaque nouvel article par email.

Loading
Archives