- décembre 1, 2024
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- Amérique du Nord, Polars
Le nom de l’Américain Horace McCoy ne vous dit rien? Son œuvre, pourtant, brille au firmament des classiques du polar. « On achève bien les chevaux », c’est lui, « Un linceul n’a pas de poches », lui aussi. Publié en 1937 en… Angleterre, adapté au cinéma par Jean-Pierre Mocky en 1974, ce roman traite de la liberté de la presse, des brimades des politiques et de la pression exercée par la publicité sur les journalistes. Il n’a pas pris une ride. Aujourd’hui comme hier, oser dire la vérité peut mettre en péril un emploi, ou même une vie.
Grâce à l’astucieuse politique de réédition de la Série noire qui nous a déjà valu quelques savoureuses pépites (https://polarspolisetcie.com/relire-raymond-chandler-vite/, https://polarspolisetcie.com/le-tueur-fou-du-sentier/), « Un linceul n’a pas de poches » nous revient dans une traduction révisée par Michael Belano. La préface de Benoît Tadié rappelle que ce livre a connu plusieurs titres provisoires, qu’il a d’abord été refusé par les éditeurs américains qui ne l’ont publié qu’en 1948, dans une version édulcorée, et qu’il comporte une importante part autobiographique. Il est vrai qu’avec une vie aussi singulière et mouvementée, il y avait de quoi faire.
Un style vif et concis
Né en 1897 à Pegram (Tennessee) dans une famille pauvre, Horace McCoy commence à travailler à 12 ans comme vendeur de journaux. En 1917, il s’engage dans l’armée, devient observateur aérien et débarque en France en 1918. Il y sera décoré de la Croix de Guerre pour héroïsme. Démobilisé, il devient journaliste sportif à Dallas, commence à écrire, publie ses premières nouvelles, mais perd son emploi lors de la Grande Dépression de 1929. On le retrouve ensuite à Hollywood où il tient quelques petits rôles avant de se consacrer à l’écriture de scénarios. En littérature, on compare souvent son style vif et concis à ceux de Steinbeck et Hemingway, mais son regard sans concession sur la société américaine dérange. En 1955, à 58 ans, Horace McCoy meurt d’une crise cardiaque à Beverly Hills, dans l’indifférence générale.
Des émules du Ku Klux Klan
Toutes ces expériences, transfigurées, ressurgissent dans « Un linceul n’a pas de poches ». Colton, où se déroule l’intrigue, est en outre clairement inspirée par Dallas, où l’écrivain a vécu entre 1919 et 1930. Mike Dolan, le personnage principal du roman, est un journaliste épris de justice et de vérité. Il démissionne avec fracas du journal qui l’emploie quand le rédacteur en chef refuse, une fois de plus, un article dénonçant la corruption dans le monde du base-ball. Avec deux amis, dont la piquante et indomptable Myra, ce Don Quichotte sans peur mais pas sans failles crée alors son propre magazine, le Cosmopolite. Déjouant les attaques de ses ennemis et les chausse-trappes d’une vie amoureuse agitée, il multiplie les révélations et va jusqu’à s’attaquer aux Croisés, des fanatiques qui s’inspirent des pratiques et de l’idéologie du Ku Klux Klan. Une société secrète à la tête de laquelle siègent plusieurs notables de la ville. Ces derniers seront-ils prêts à tout pour le faire taire? La victoire est fragile et vulnérable quand ses ailes sont en papier.
« Un linceul n’a pas de poches ». De Horace McCoy. Traduction de l’anglais de Sabine Berritz et Marcel Duhamel, révisée par Michael Belano. Préface inédite de Benoît Tadié. Gallimard, Série noire, 290 p.
Le nom de l’Américain Horace McCoy ne vous dit rien? Son œuvre, pourtant, brille au firmament des classiques du polar. « On achève bien les chevaux », c’est lui, « Un linceul n’a pas de poches », lui aussi. Publié en 1937 en… Angleterre, adapté au cinéma par Jean-Pierre Mocky en 1974, ce roman traite de la liberté de […]
- novembre 12, 2024
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Ce livre n’aurait pas dû voir le jour. Louise Penny nous le confie à la fin d' »Au royaume des aveugles ». Après le décès de son mari qui lui avait inspiré le personnage du policier québécois Armand Gamache, l' »Agatha Christie canadienne », comme l’a surnommée la presse, se sentait incapable de continuer la série. Et puis cette nouvelle enquête – il faudrait plutôt dire ces nouvelles enquêtes car comme toujours ce roman est largement polyphonique – a vu le jour presque indépendamment de sa volonté, un peu par miracle. Et sans tristesse. « Non pas par obligation, mais dans la joie », précise-t-elle.
« Au royaume des aveugles », ce sont donc deux enquêtes parallèles, deux affaires indépendantes avec pour ancrage commun Armand Gamache et son équipe. Nous sommes en plein l’hiver. Le directeur général de la Sûreté du Québec, ou ex-directeur selon les points de vue, a été suspendu à la suite d’une opération controversée en lien avec un trafic d’opioïdes. Il s’agissait d’empêcher à tout prix la diffusion du carfentanil, cent fois plus intense que le fentanyl, « une drogue si puissante, si dangereuse qu’elle finissait par tuer presque tous ceux qui en prenaient » (https://polarspolisetcie.com/le-noir-visiteur-du-soir-dhalloween/).
L’intervention policière a réussi, la bande criminelle a été neutralisée, mais une partie de la dangereuse substance est restée dans la nature. Tombée dans de mauvaises mains, elle pourrait ressurgir d’un jour à l’autre et faire d’immenses dégâts. Pour la retrouver, et ainsi laver sa « faute » envers la société, Gamache es prêt à tout, même à tromper ses pairs. L’occasion d’une plongée cauchemardesque dans le quartier des toxicomanes, prostitué(e)s et autres déshérités de Montréal.
Un mystérieux testament
La deuxième affaire semble a priori plus légère. Elle tourne autour d’un étrange courrier reçu par Gamache, une lettre qui lui donne rendez-vous dans une maison abandonnée. Intrigué, il se rend sur place et, très surpris, y retrouve Myrna, psychologue à la retraite, une amie vivant comme lui dans le petit village (fictif) de Three Pines. S’ajoute au duo une troisième larron parfaitement inconnu des deux autres. Les trois « élus » apprennent alors du notaire qui les a réunis qu’ils ont été désignés comme exécuteurs testamentaires par Bertha Baumgartner, une femme de ménage qui se faisait appeler la Baronne. Un canular? Pas vraiment, d’autant que peu après l’un des trois héritiers de la Baronne, l’aîné, est retrouvé assassiné dans la maison effondrée. Délicate mais menée de main de maître, l’enquête révélera que, contrairement aux préjugés, la beauté peut parfois faire bon ménage avec l’honnêteté et la bonté.
Comme d’habitude, Louis Penny nous tient en haleine de bout en bout, tout en nous régalant de petits plats du cru, ragoût de bœuf et croustade aux pommes chaude, accompagnée de crème épaisse. Elle nous offre quelques conseils pour résister à la violence de l’hiver canadien – moins 35 degrés – et pointe la regrettable habitude des Québécois de perdre leurs gants, leurs mitaines et même leurs couvre-chefs en sortant de leur voiture. « Posés sur leurs genoux durant le trajet, ces articles oubliés finissaient dans la neige. Au printemps, le sol était jonché de crottes de chien et de vers de terre. Mais aussi de bonnets, de mitaines et de gants détrempés. »
« Au royaume des aveugles ». De Louise Penny. Traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Actes Sud, Actes noirs, 444 p.
Ce livre n’aurait pas dû voir le jour. Louise Penny nous le confie à la fin d’ »Au royaume des aveugles ». Après le décès de son mari qui lui avait inspiré le personnage du policier québécois Armand Gamache, l’ »Agatha Christie canadienne », comme l’a surnommée la presse, se sentait incapable de continuer la série. Et puis cette […]
- octobre 21, 2024
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Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés en vrac. Une dégustation compulsive qui, comme un leitmotiv obsédant, rythme l’intrigue d’ « Une colère simple », le troisième tome de la série des romans noirs piémontais.
Et dans ce nouveau polar, bien qu’un peu en retrait, on retrouve aussi le tragique et flamboyant Corso Bramard, le mentor d’Arcodipane. Ce policier brillant devenu enseignant à la suite de l’assassinat de sa femme et de sa fille souffre maintenant d’un méchant cancer. Sa maladie ne l’empêche pas toutefois de conserver l’esprit vif et le sens de l’amitié. A ce propos, n’oublions pas de mentionner la pétulante agente Isa Mancini, une as de l’informatique à l’appétit d’ogresse qui travaille désormais à la routière, mais n’hésite pas à donner un coup de main à ses anciens collègues.
« Une colère simple » commence en mineur. Avec une mystérieuse agression à Turin. Une jeune femme est rouée de coups sans raison à la sortie de la station de métro Principi d’Acaja. Elle est hospitalisée dans le coma. La scène a été filmée, l’agresseur portait un masque et un kimono. Un potentiel coupable est arrêté, il avait parié avec son amie de voyager ainsi accoutré, mais en dépit des apparences qui l’accablent, il n’est pas l’agresseur. Visiblement, l’auteur de cet acte barbare cherche à faire accuser quelqu’un d’autre à sa place.
Le récit – qui jusqu’ici louvoyait entre deux belles descriptions de Turin et les pittoresques mésaventures d’Arcodipane sur un site de rencontres – soudain s’accélère. Et trouve son rythme de croisière. Il est vrai que notre tenace et perspicace commissaire peut désormais compter sur un co-équipier supplémentaire, Luigi Normandia. Cet ancien policier passablement illuminé suit la même piste que lui. Et lui révèle l’existence de crimes similaires restés impunis. Plus soudée que jamais, la fine équipe finit par découvrir la cause d’une série de suicides et de morts suspects: un jeu mortifère et pervers enfoui au plus profond d’Internet. Pas de doute, le dark web a ces temps-ci la cote au royaume du bon polar! (https://polarspolisetcie.com/les-derives-criminelles-de-lintelligence-artificielle/).
« Une colère simple ». De Davide Longo. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert. Editions du Masque, 350 p.
Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés […]
- octobre 8, 2024
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On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les nouveaux rebondissements d’une vaste affaire criminelle liée à l’usage dévoyé de l’intelligence artificielle. Autant dire que le lecteur devra faire fonctionner ses neurones. Mais qu’il se rassure ! L’écrivain, né en 1986 à Varsovie, se révèle un vulgarisateur hors pair en plus d’être un fin spécialiste en la matière. D’emblée, d’ailleurs, il nous prévient : « Au moment de confier ce texte à l’éditeur, il contenait encore d’infimes traces de science-fiction. Au moment de sa publication – ce n’était plus le cas. »
Comme dans les polars précédents, Jakub Szamałek court plusieurs lièvres à la fois. Ou du moins, dans un premier temps, nous en donne l’impression. Car derrière l’effondrement d’un immense réservoir contenant les eaux usées pompées par une mine de cuivre – des « liquides post-flottaison » hautement toxiques et cancérigènes – derrière la diffusion d’un étrange virus informatique qui laisse pantois les meilleurs spécialistes, derrière les alléchants contrats conclus avec des bibliothèques pour numériser leurs fonds, se cache un seul et même homme.
Un personnage machiavélique
Le cerveau diabolique de ces actions criminelles, « l’homme venu de nulle part », « le maître des manipulations en ligne » se nomme Daniel Królak. Aussi insaisissable que puissant, il tire sa force maléfique du génie longtemps méconnu de Pyotr Semenov, un brillant scientifique qui s’est formé dans l’ex-Union soviétique. Pionnier dans les recherches sur l’intelligence artificielle, ce dernier a longtemps vécu à Tomsk, en Sibérie, avant d’être exfiltré aux Etats-Unis.
Cela, Julita Wójcicka l’ignore encore en partie quand démarre « Saturation totale ». Grâce à son flair, à son opiniâtreté et à sa capacité à se glisser à travers les mailles toujours un peu lâches d’internet – un savoir qu’elle doit largement à son complice Jan – elle va remonter les traces infimes laissés par les deux prédateurs. Jusqu’en Suisse. Aussi courageuse qu’inconsciente, elle n’hésite pas alors à se jeter dans la gueule du loup pour faire éclater la vérité. Vous frissonnez ? Par bonheur, le dieu des honnêtes gens n’avait pas pris de cuite ce jour-là. Vous voilà rassurés !
Et pourtant…Et pourtant. Après avoir dévoré la « Trilogie du dark net », pas de doute, on ne contemple plus nos écrans du même œil. Et l’on hésite avant d’offrir nos données en pâture à n’importe qui. Dans un premier temps, en tout cas. Après, on oublie.
« Saturation totale. Trilogie du dark net 3 ». De Jakub Szamałek. Traduit du polonais par Kamil Barbarski. Editions Métailié, 394 p. En librairie le 11 octobre 2024.
On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les […]
- octobre 1, 2024
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Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et de ses spécificités. Le récit se situe cette fois-ci un peu plus en amont, soit au moment de l’enquête et non du procès. Il a pour protagonistes un duo pittoresque et efficace formé par la juge d’instruction Emma Toussaint et son fidèle greffier Fabrice Colet, stature de bûcheron norvégien et sourire de présentateur télé. L’écrivain – né en 1953 à Bruxelles – nous précise dans la foulée qu’en plus d’interroger un inculpé, de convoquer des témoins ou d’ordonner des perquisitions, le juge d’instruction belge « a également le droit de délivrer un mandat d’arrêt, ce qui le rend plus redoutable que son alter ego français ».
Le problème, c’est qu’il manque une cinquantaine de juges et une bonne centaine de greffiers pour faire fonctionner la machine judiciaire correctement. Convoquée en urgence par le procureur du Roi dans un bureau qui ressemble « à un appartement- témoin pour adeptes de feng shui », Emma Toussaint doit tout abandonner pour se pencher sur une nouvelle affaire, particulièrement délicate. Tanguy Anselme, un célèbre avocat d’affaires, a été assassiné. Il est soupçonné d’appartenir à un réseau d’évasion fiscale et de blanchiment. Le meurtre remonte à un an déjà, une première équipe et un enquêteur privé s’y sont déjà cassé les dents. Un bel imbroglio en perspective !
Un innocent en prison
Et comme si cela ne suffisait pas, une affaire que l’on croyait classée se rappelle aux bons soins de notre infatigable duo. Alors que sa cheffe s’est absentée, Fabrice Colet – dont les habitudes alimentaires et les goûts vestimentaires donnent lieu à de savoureux paragraphes – réceptionne un appel téléphonique. Une voix anonyme prévient : « Le meurtre de la rue Blanche. Ce n’est pas ce que vous croyez. Elle [la juge Toussaint] a envoyé un innocent en prison. Dites-le-lui. ». Cette affaire, Fabrice s’en souvient comme si c’était hier. Il s’agissait de sa première scène de crime et de son premier cadavre. Une femme de 78 ans, Gisèle Verbiest avait été retrouvée morte à son domicile, tuée de trois coups de couteau. Les soupçons s’étaient immédiatement portés sur un des locataires de l’immeuble, « un junkie tatoué comme un guerrier maori ». A tort, apparemment.
La juge et son greffier vont ainsi devoir mener de fronts deux affaires très différentes qui, surprise, finissent par se télescoper. Quatre suspects incarcérés d’un coup ! Pratique ! De révélation fracassante en fausse piste, l’écrivain Paul Colize multiplie par ailleurs les occasions de nous faire rire ou sourire. La circulation bruxelloise en prend pour son grade. Le détective privé, à l’opposé de son double hollywoodien, a « la cinquantaine ventrue, le cheveu rare et le charme d’un ouvre-boîte ». Quant au snobisme vestimentaire d’un avocat parvenu, il évoque ni plus ni moins qu’« un tracteur agricole camouflé en Bentley ». On aime, ou pas. Mais cela fait drôlement du bien, d’autant que le suspense est nourri et l’intrigue bien construite.
« Le meurtre de la rue Blanche ». De Paul Colize. Editions Hervé Chopin, 314 p. En librairie le 3 octobre 2024.
Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et […]
- septembre 25, 2024
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Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ». Confrontant présent et passé, ce troisième polar traduit en français s’intéresse à un pan peu connu de l’histoire nationale. Il rappelle qu’en 1941 de jeunes Finlandais se sont engagés volontairement au sein des Waffen-SS pour lutter aux côtés de l’Allemagne nazie contre l’ennemi soviétique. Des jeunes gens « partis en quête de gloire et d’honneur » et qui, loin de revenir en héros, ont dû porter toute leur vie les stigmates de ce qu’ils avaient fait et vécu.
Le récit s’ouvre, en septembre 2019, avec une agression totalement improbable. Albert Kangasharju, un homme de 97 ans vivant en maison de retraite, est brutalement enlevé lors de sa promenade du soir par deux individus vêtus de noir. Sauvé par son infirmière, le vieillard est admis dans un état grave à l’hôpital où il est victime d’une deuxième agression. Et où il est à nouveau sauvé in extremis, cette fois-ci par Jari Paloviita, le policier venu prendre sa déposition. Peu après, deux collègues de Paloviita découvrent près du lieu de l’enlèvement un tabouret renversé et un nœud coulant attaché à la fourche d’un grand arbre. Pas de doute, il s’agissait bien d’une tentative de meurtre. Le nœud, en particulier, retient l’attention des enquêteurs. Il s’agit d’un nœud très spécial, appelé « Yosemite », utilisé par les grimpeurs et les alpinistes.
Une vie de mensonges
Mais qui pouvait bien en vouloir à ce paisible retraité aimé de tous ? Albert Kangasharju était en outre un ancien combattant méritant et couvert de médailles, états de service dont il se glorifiait volontiers. Et si c’était justement là que se cachait la clé de l’énigme ? Et si la longue vie de cet homme reposait sur des silences puants et de lâches mensonges ? Sceptiques au départ, les policiers vont peu à peu se rallier à cette hypothèse. Notamment quand un deuxième homme très âgé, un ancien combattant lui aussi, est enlevé et exécuté par pendaison. Stupéfaction : on découvre en fouillant sa maison que Klaus Halminen s’était battu dans les rangs de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale.
Grâce à l’écrivain Arttu Tuominen, le lecteur francophone découvre tout un pan complexe de l’histoire finlandaise. Il apprend que se sont succédé la guerre d’Hiver, la guerre de Continuation et la guerre de Laponie, tout en se rappelant que le pays fut, dans un premier temps, l’allié de l’Allemagne nazie. Très précis, habilement construit, n’escamotant ni les scènes de guerre ni les massacres mais sans s’y complaire, « Tous les silences » se permet aussi des accents lyriques pour décrire un état d’âme, un paysage de brouillard et d’eau, « un parfum d’automne, de feuilles mouillées et de pelouse ». De quoi se régaler en attendant la suite. Les trois derniers volets de la série « Delta noir » – en référence au fleuve Kokemäenjoki qui se jette dans la mer Baltique – n’ont pas encore été traduits en français. Mais cela ne saurait tarder, et ils s’annoncent passionnants.
« Tous les silences ». D’Arttu Tuominen. Traduit du finnois par Claire Saint-Germain. Editions de La Martinière, 422 p.
Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ». Confrontant présent et passé, […]
A propos de ce blog
Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.
Photo: Lara Schütz