J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel de littérature 2006 – « Souvenirs des montagnes au loin ». Hors genres et catégories, cet ouvrage élégant propose une sélection de 200 doubles pages reproduites en fac-similé et tirées des carnets dessinés que l’écrivain turc tient depuis plus de dix ans. Relevons que ce livre est publié en avant-première en France. « En France et chez Gallimard, parce que c’est Gallimard qui a inventé la publication des journaux d’écrivains vivants, avec le « Journal » de Gide, qui reste le journal le plus célèbre », précise l’auteur dans une interview publiée sur le site de son éditeur. Précisons aussi qu’Orhan Pamuk a aujourd’hui 70 ans, l’âge de Gide à l’époque.
La peinture, un premier amour
L’attachement d’Orhan Pamuk aux arts visuels est connu. Il a souvent raconté comment, entre sept et vingt-deux ans, il pensait devenir peintre, avant d’étudier l’architecture et le journalisme, puis d’opter pour l’écriture. Cette passion fut aussi relayée, en 2012, par la création, à Istanbul, du Musée de l’innocence, conçu parallèlement à l’écriture d’un roman éponyme en forme de miroir.
« Souvenirs de la montagne au loin », lui, relève du journal et non de la fiction. Il s’agit d’un curieux projet « bilingue » puisque tout entier consacré au « bonheur de recouvrir un dessin de texte » – texte à son tour traduit ici en français. L’écrivain y évoque sa ville d’Istanbul, ses voyages, ses séjours aux Etats-Unis ou en Inde, ses rêves nocturnes, parfois le menu de ses repas, ses baignades, ses doutes et son travail d’écrivain, ses agacements quotidiens. L’image, essentiellement des paysages, ne se contente jamais d’illustrer son propos. A l’inverse, les mots et les lettres acquièrent une vie propre, une dimension esthétique en soi.
Une irrépressible frénésie de remplissage
Ces feuillets saturés de traits et de signes emmènent le lecteur dans un espace incertain qui tient à la fois de la scène de théâtre et de l’écran de cinéma, deux rectangles accolés où l’image et le texte – un peu comme dans l’art brut – cohabitent, s’ignorent, se fondent et parfois s’entredévorent comme saisis par une irrépressible frénésie de remplissage. Dans l’interview de Gallimard, Orhan Pamuk précisait aussi que ce journal a toujours été pensé dans la perspective d’une possible publication. « Je suis un auteur conscient de moi-même, précise-t-il. Je n’ai pas voulu d’un journal qui soit des mémoires ou une confession, j’ai voulu faire de ces pages un espace artistique. » Cela ne l’empêche pas d’évoquer son « programme habituel de nage », une terrible douleur à l’oreille, la prise d’un somnifère pour calmer ses « peurs existentielles les plus profondes » ou la beauté et la tendresse de sa compagne Asli Akyavas, devenue en avril 2022 sa deuxième épouse.
Illustration: ©2022, Orhan Pamuk, tous droits réservés
« Souvenirs des montagnes au loin ». Carnets dessinés d’Orhan Pamuk. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes. Gallimard, 392 p.
J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel […]
Souvent galvaudé, le terme d’épopée s’impose ici sans réserve. Nos disparus de l’Américain Tim Gautreaux est un récit ample, généreux, rythmé qui retrace le destin, les défis et les rêves d’une famille de personnages complexes et attachants. En guise de décor: le Mississippi, ses bateaux à roues à aubes et leurs orchestres de jazz. Au cœur de l’histoire, Sam Simoneaux, un jeune homme du Sud de la Louisiane dont toute la famille a été massacrée alors qu’il n’avait que six mois. Un roman sur la vengeance? Plutôt la démonstration de son absurdité, une réflexion bienvenue à l’heure où certains Etats semblent revenus à la loi du talion et à sa spirale infernale.
Né en 1947 en Louisiane où il vit et enseigne, Tim Gautreaux aime accrocher ses histoires à la grande histoire. En l’occurrence la première Guerre Mondiale. Mais ce qui l’intéresse, c’est l’après. Quand l’Américain Sam Simoneaux débarque en France avec ses compagnons d’infortune, la guerre est finie. On leur confie alors la tâche herculéenne de commencer à nettoyer la campagne des obus qui n’ont pas explosé. Et puis très vite on les renvoie chez eux.
Sam Simoneaux retrouve alors sa jeune femme et devient responsable d’étage dans un grand magasin de la Nouvelle Orléans. Mais sa vie à nouveau bascule quand une petite fille se fait enlever sur son lieu de travail, presque sous ses yeux. Il n’a rien pu faire pour empêcher le rapt, il est licencié. Il part alors à la recherche de l’enfant et, en compagnie des parents musiciens, embarque comme troisième lieutenant sur l’Ambassador, un bateau d’excursion qui sillonne le Mississippi. Le début d’un périple luxuriant, plein de rencontres étonnantes et d’humanité pudique, une fresque magnifique que l’on dévore de bout en bout sans reprendre haleine. Un récit où l’on apprend aussi qu’un « mulet qui parle français » ne daignera vous obéir que si vous vous exprimez dans sa langue.
« Nos disparus ». De Tim Gautreaux. Traduit de l’anglais par Marc Amfreville. Seuil, 540 p.
Souvent galvaudé, le terme d’épopée s’impose ici sans réserve. Nos disparus de l’Américain Tim Gautreaux est un récit ample, généreux, rythmé qui retrace le destin, les défis et les rêves d’une famille de personnages complexes et attachants. En guise de décor: le Mississippi, ses bateaux à roues à aubes et leurs orchestres de jazz. Au […]
A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.
Photo: Lara Schütz