Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Un écrivain polyglotte? Amara Lakhous préfère le terme de « polygame linguistique ». Fasciné « par les gens qui vivent sur les frontières », par ceux qui se refusent à toute identité contraignante, ce créateur errant a choisi d’appliquer ces principes à sa propre vie. Né en 1970 à Alger dans une famille kabyle, il y a étudié la philosophie et travaillé comme journaliste avant de s’installer, au milieu des années 1990 en Italie. Où il a poursuivi sa formation, en anthropologie cette fois, et écrit plusieurs romans, en italien. Avant de repartir, et de s’établir aux Etats-Unis où il enseigne à l’université de Yale. Juste retour des choses, Amara Lakhous vient de publier chez son éditeur français Actes Sud un nouveau roman… traduit de l’arabe, « La Fertilité du mal ». Un polar qui se propose de revisiter, de façon vivante et passionnante, l’histoire algérienne depuis les années 1950, soit depuis la tristement fameuse guerre d’Algérie, dite aussi guerre d’indépendance.

Le récit commence le 5 juillet 2018 à Oran. Le jour de la fête de l’indépendance précisément. Miloud Sabri, 80 ans et une énergie intacte, s’apprête à s’offrir une jeune vierge dans sa luxueuse garçonnière. Le détail est sordide, mais révèle bien le caractère glauque et sans scrupule de cet ancien combattant du FNL, membre des services de renseignements et gangster aux multiples casquettes.

La rencontre ne se passe pas comme prévu. Miloud Sabri est retrouvé égorgé, le nez tranché posé sur la poitrine, un châtiment d’ordinaire réservé aux traîtres. Dans les hautes sphères du pouvoir, on s’inquiète et s’agite. Sommé de quitter sans délai les doux bras de sa maîtresse, le colonel Karim Soltani va devoir se démener pour dégager la vérité derrière le mythe, et réussir à ternir l’aura et briser la réputation de héros que s’est forgée, en écrasant ceux qu’il a trouvé sur sa route, cet homme que l’on surnommait « la Huppe ». Rapidement deux autres cadavres s’ajoutent au premier. Notre enquêteur va devoir redoubler de finesse et de vigilance pour découvrir, en moins de 24 heures, l’horreur dissimulée derrière des alliances et des amitiés qui parfois remontent à l’enfance.

Heureusement, précise l’auteur, « la lumière magique d’Oran, née de la mer et du soleil, lui mit un peu de baume au cœur. » Cette ville si belle accompagnera également le lecteur dans sa (re)découverte des différents épisodes d’une lutte pour la liberté constamment mise en péril par le totalitarisme et la soif de pouvoir de quelques-uns. Jusqu’à nos jours.

 

« La Fertilité du mal ». D’Amara Lakhous. Traduit de l’arabe par Lotfi Nia. Actes Sud, Actes noirs, 284 p.

Un écrivain polyglotte? Amara Lakhous préfère le terme de « polygame linguistique ». Fasciné « par les gens qui vivent sur les frontières », par ceux qui se refusent à toute identité contraignante, ce créateur errant a choisi d’appliquer ces principes à sa propre vie. Né en 1970 à Alger dans une famille kabyle, il y a étudié la […]

Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés en vrac. Une dégustation compulsive qui, comme un leitmotiv obsédant, rythme l’intrigue d’ « Une colère simple », le troisième tome de la série des romans noirs piémontais.

Et dans ce nouveau polar, bien qu’un peu en retrait, on retrouve aussi le tragique et flamboyant Corso Bramard, le mentor d’Arcodipane. Ce policier brillant devenu enseignant à la suite de l’assassinat de sa femme et de sa fille souffre maintenant d’un méchant cancer. Sa maladie ne l’empêche pas toutefois de conserver l’esprit vif et le sens de l’amitié. A ce propos, n’oublions pas de mentionner la pétulante agente Isa Mancini, une as de l’informatique à l’appétit d’ogresse qui travaille désormais à la routière, mais n’hésite pas à donner un coup de main à ses anciens collègues.

« Une colère simple » commence en mineur. Avec une mystérieuse agression à Turin. Une jeune femme est rouée de coups sans raison à la sortie de la station de métro Principi d’Acaja. Elle est hospitalisée dans le coma. La scène a été filmée, l’agresseur portait un masque et un kimono. Un potentiel coupable est arrêté, il avait parié avec son amie de voyager ainsi accoutré, mais en dépit des apparences qui l’accablent, il n’est pas l’agresseur. Visiblement, l’auteur de cet acte barbare cherche à faire accuser quelqu’un d’autre à sa place.

Le récit – qui jusqu’ici louvoyait entre deux belles descriptions de Turin et les pittoresques mésaventures d’Arcodipane sur un site de rencontres – soudain s’accélère. Et trouve son rythme de croisière. Il est vrai que notre tenace et perspicace commissaire peut désormais compter sur un co-équipier supplémentaire, Luigi Normandia. Cet ancien policier passablement illuminé suit la même piste que lui. Et lui révèle l’existence de crimes similaires restés impunis. Plus soudée que jamais, la fine équipe finit par découvrir la cause d’une série de suicides et de morts suspects: un jeu mortifère et pervers enfoui au plus profond d’Internet. Pas de doute, le dark web a ces temps-ci la cote au royaume du bon polar! (https://polarspolisetcie.com/les-derives-criminelles-de-lintelligence-artificielle/).

 

« Une colère simple ». De Davide Longo. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert. Editions du Masque, 350 p.

Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés […]

Deon Meyer a construit son nouveau polar « LEO » comme une symphonie. Avec un premier mouvement rapide, un long mouvement lent, des accelerandos, des solos magnifiques et un final prestissimo qui nous laisse ébahis. Du grand art. Et que les fans de l’écrivain sud-africain soient rassurés: ses deux policiers, les sympathiques lieutenants Benny Griessel et Vaughn Cupido, sont une fois encore au rendez-vous. Pour les lecteurs un brin fleur bleue, ajoutons que « LEO » s’articule et se rythme autour d’un mariage annoncé – pour le 12 juin, celui de Benny et de sa chère Alexa, une femme aussi sensible et belle que douée – sauf en cuisine. Une ancienne alcoolique, comme lui.

Dans ce roman, comme souvent chez l’écrivain sud-africain, la fiction se nourrit largement du réel. En l’occurrence, de la tristement fameuse « captation de l’Etat », une corruption systémique qui, sous la présidence du président Jacob Zuma (2009-2018) et avec la complicité des tout-puissants frères Gupta, a mis l’Afrique du Sud à genoux et ruiné bien des espoirs. Bien entendu, l’écrivain s’autorise aussi des libertés. Il a notamment changé les noms des principaux auteurs de ce pillage organisé, qui n’en restent pas moins aisément identifiables.

« LEO » se déroule entre deux opérations coup de poing mises sur pied par un commando super-entraîné intégrant des anciens membres de la brigade des forces spéciales sud-africaines (Recces). Destiné à s’approprier une partie des dollars volés par l’ancien président, la première tentative échoue toutefois, et se solde par des morts. Quelques mois plus tard, rebelote avec cette fois-ci dans le viseur une cargaison d’or clandestinement transportée par camion pour être acheminée ensuite par bateau vers la Russie. Cette deuxième attaque elle aussi capote. Le lecteur, qui sait tout ou presque, n’en sera pas surpris.

Crime, musique et cuisine

L’enquête de nos policiers s’inscrit en marge de ces deux événements dont ils ignorent quasiment tout jusqu’au bout. Ils cherchent, eux, les coupables de deux meurtres particulièrement barbares. Deux hommes retrouvés étouffés par de la mousse expansive. Un signe? Un avertissement? Ils pataugent. Le lecteur, qui très tôt possède une bonne partie des clés, se demande comment diable ils vont parvenir à découvrir le pot aux roses en travaillant au sein d’une police elle-même largement corrompue et dont les hauts gradés font tout pour les égarer. Un double suspense accompagné d’une agréable bande son, la musique étant l’une des passions de Benny Griessel, et de l’auteur.

On connaissait aussi déjà l’amour de Deon Meyer pour la France et le rugby. On découvre qu’il affectionne également l’Italie où se réfugie, après la première attaque, la seule femme du commando, Christina Jaeger, alias Chrissie. Une parenthèse ensoleillée et paisible qui est l’occasion de déguster une torta della nonna au célèbre Caffè Greco de Rome avant de bénéficier d’une leçon de cuisine offerte par un expert du pesce crudo et de la carbonara faite, comme il se doit, avec de la joue de porc séchée, le célèbre et inégalé guanciale.

 

« LEO ». De Deon Meyer. Traduit de l’afrikaans par Georges Lory. Gallimard, Série noire, 620 p.

Deon Meyer a construit son nouveau polar « LEO » comme une symphonie. Avec un premier mouvement rapide, un long mouvement lent, des accelerandos, des solos magnifiques et un final prestissimo qui nous laisse ébahis. Du grand art. Et que les fans de l’écrivain sud-africain soient rassurés: ses deux policiers, les sympathiques lieutenants Benny Griessel et Vaughn […]

On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les nouveaux rebondissements d’une vaste affaire criminelle liée à l’usage dévoyé de l’intelligence artificielle. Autant dire que le lecteur devra faire fonctionner ses neurones. Mais qu’il se rassure ! L’écrivain, né en 1986 à Varsovie, se révèle un vulgarisateur hors pair en plus d’être un fin spécialiste en la matière. D’emblée, d’ailleurs, il nous prévient : « Au moment de confier ce texte à l’éditeur, il contenait encore d’infimes traces de science-fiction. Au moment de sa publication – ce n’était plus le cas. »

Comme dans les polars précédents, Jakub Szamałek court plusieurs lièvres à la fois. Ou du moins, dans un premier temps, nous en donne l’impression. Car derrière l’effondrement d’un immense réservoir contenant les eaux usées pompées par une mine de cuivre – des « liquides post-flottaison » hautement toxiques et cancérigènes – derrière la diffusion d’un étrange virus informatique qui laisse pantois les meilleurs spécialistes, derrière les alléchants contrats conclus avec des bibliothèques pour numériser leurs fonds, se cache un seul et même homme.

Un personnage machiavélique

Le cerveau diabolique de ces actions criminelles, « l’homme venu de nulle part », « le maître des manipulations en ligne » se nomme Daniel Królak. Aussi insaisissable que puissant, il tire sa force maléfique du génie longtemps méconnu de Pyotr Semenov, un brillant scientifique qui s’est formé dans l’ex-Union soviétique. Pionnier dans les recherches sur l’intelligence artificielle, ce dernier a longtemps vécu à Tomsk, en Sibérie, avant d’être exfiltré aux Etats-Unis.

Cela, Julita Wójcicka l’ignore encore en partie quand démarre « Saturation totale ». Grâce à son flair, à son opiniâtreté et à sa capacité à se glisser à travers les mailles toujours un peu lâches d’internet – un savoir qu’elle doit largement à son complice Jan – elle va remonter les traces infimes laissés par les deux prédateurs. Jusqu’en Suisse. Aussi courageuse qu’inconsciente, elle n’hésite pas alors à se jeter dans la gueule du loup pour faire éclater la vérité. Vous frissonnez ? Par bonheur, le dieu des honnêtes gens n’avait pas pris de cuite ce jour-là. Vous voilà rassurés !

Et pourtant…Et pourtant. Après avoir dévoré la « Trilogie du dark net », pas de doute, on ne contemple plus nos écrans du même œil. Et l’on hésite avant d’offrir nos données en pâture à n’importe qui. Dans un premier temps, en tout cas. Après, on oublie.

 

« Saturation totale. Trilogie du dark net 3 ». De Jakub Szamałek. Traduit du polonais par Kamil Barbarski. Editions Métailié, 394 p. En librairie le 11 octobre 2024. 

 

 

On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les […]

Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et de ses spécificités. Le récit se situe cette fois-ci un peu plus en amont, soit au moment de l’enquête et non du procès. Il a pour protagonistes un duo pittoresque et efficace formé par la juge d’instruction Emma Toussaint et son fidèle greffier Fabrice Colet, stature de bûcheron norvégien et sourire de présentateur télé. L’écrivain – né en 1953 à Bruxelles – nous précise dans la foulée qu’en plus d’interroger un inculpé, de convoquer des témoins ou d’ordonner des perquisitions, le juge d’instruction belge « a également le droit de délivrer un mandat d’arrêt, ce qui le rend plus redoutable que son alter ego français ».

Le problème, c’est qu’il manque une cinquantaine de juges et une bonne centaine de greffiers pour faire fonctionner la machine judiciaire correctement. Convoquée en urgence par le procureur du Roi dans un bureau qui ressemble « à un appartement- témoin pour adeptes de feng shui », Emma Toussaint doit tout abandonner pour se pencher sur une nouvelle affaire, particulièrement délicate. Tanguy Anselme, un célèbre avocat d’affaires, a été assassiné. Il est soupçonné d’appartenir à un réseau d’évasion fiscale et de blanchiment. Le meurtre remonte à un an déjà, une première équipe et un enquêteur privé s’y sont déjà cassé les dents. Un bel imbroglio en perspective !

Un innocent en prison

Et comme si cela ne suffisait pas, une affaire que l’on croyait classée se rappelle aux bons soins de notre infatigable duo. Alors que sa cheffe s’est absentée, Fabrice Colet – dont les habitudes alimentaires et les goûts vestimentaires donnent lieu à de savoureux paragraphes – réceptionne un appel téléphonique. Une voix anonyme prévient : « Le meurtre de la rue Blanche. Ce n’est pas ce que vous croyez. Elle [la juge Toussaint] a envoyé un innocent en prison. Dites-le-lui. ». Cette affaire, Fabrice s’en souvient comme si c’était hier. Il s’agissait de sa première scène de crime et de son premier cadavre. Une femme de 78 ans, Gisèle Verbiest avait été retrouvée morte à son domicile, tuée de trois coups de couteau. Les soupçons s’étaient immédiatement portés sur un des locataires de l’immeuble, « un junkie tatoué comme un guerrier maori ». A tort, apparemment.

La juge et son greffier vont ainsi devoir mener de fronts deux affaires très différentes qui, surprise, finissent par se télescoper. Quatre suspects incarcérés d’un coup ! Pratique ! De révélation fracassante en fausse piste, l’écrivain Paul Colize multiplie par ailleurs les occasions de nous faire rire ou sourire. La circulation bruxelloise en prend pour son grade. Le détective privé, à l’opposé de son double hollywoodien, a « la cinquantaine ventrue, le cheveu rare et le charme d’un ouvre-boîte ». Quant au snobisme vestimentaire d’un avocat parvenu, il évoque ni plus ni moins qu’« un tracteur agricole camouflé en Bentley ». On aime, ou pas. Mais cela fait drôlement du bien, d’autant que le suspense est nourri et l’intrigue bien construite.

 

« Le meurtre de la rue Blanche ». De Paul Colize. Editions Hervé Chopin, 314 p. En librairie le 3 octobre 2024.

Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et […]

Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ».  Confrontant présent et passé, ce troisième polar traduit en français s’intéresse à un pan peu connu de l’histoire nationale. Il rappelle qu’en 1941 de jeunes Finlandais se sont engagés volontairement au sein des Waffen-SS pour lutter aux côtés de l’Allemagne nazie contre l’ennemi soviétique. Des jeunes gens « partis en quête de gloire et d’honneur » et qui, loin de revenir en héros, ont dû porter toute leur vie les stigmates de ce qu’ils avaient fait et vécu.

Le récit s’ouvre, en septembre 2019, avec une agression totalement improbable. Albert Kangasharju, un homme de 97 ans vivant en maison de retraite, est brutalement enlevé lors de sa promenade du soir par deux individus vêtus de noir. Sauvé par son infirmière, le vieillard est admis dans un état grave à l’hôpital où il est victime d’une deuxième agression. Et où il est à nouveau sauvé in extremis, cette fois-ci par Jari Paloviita, le policier venu prendre sa déposition. Peu après, deux collègues de Paloviita découvrent près du lieu de l’enlèvement un tabouret renversé et un nœud coulant attaché à la fourche d’un grand arbre. Pas de doute, il s’agissait bien d’une tentative de meurtre. Le nœud, en particulier, retient l’attention des enquêteurs. Il s’agit d’un nœud très spécial, appelé « Yosemite », utilisé par les grimpeurs et les alpinistes.

Une vie de mensonges

Mais qui pouvait bien en vouloir à ce paisible retraité aimé de tous ? Albert Kangasharju était en outre un ancien combattant méritant et couvert de médailles, états de service dont il se glorifiait volontiers. Et si c’était justement là que se cachait la clé de l’énigme ? Et si la longue vie de cet homme reposait sur des silences puants et de lâches mensonges ? Sceptiques au départ, les policiers vont peu à peu se rallier à cette hypothèse. Notamment quand un deuxième homme très âgé, un ancien combattant lui aussi, est enlevé et exécuté par pendaison. Stupéfaction : on découvre en fouillant sa maison que Klaus Halminen s’était battu dans les rangs de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale.

Grâce à l’écrivain Arttu Tuominen, le lecteur francophone découvre tout un pan complexe de l’histoire finlandaise. Il apprend que se sont succédé la guerre d’Hiver, la guerre de Continuation et la guerre de Laponie, tout en se rappelant que le pays fut, dans un premier temps, l’allié de l’Allemagne nazie. Très précis, habilement construit, n’escamotant ni les scènes de guerre ni les massacres mais sans s’y complaire, « Tous les silences » se permet aussi des accents lyriques pour décrire un état d’âme, un paysage de brouillard et d’eau, « un parfum d’automne, de feuilles mouillées et de pelouse ». De quoi se régaler en attendant la suite. Les trois derniers volets de la série « Delta noir » – en référence au fleuve Kokemäenjoki qui se jette dans la mer Baltique – n’ont pas encore été traduits en français. Mais cela ne saurait tarder, et ils s’annoncent passionnants.

 

« Tous les silences ». D’Arttu Tuominen. Traduit du finnois par Claire Saint-Germain. Editions de La Martinière, 422 p.

Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ».  Confrontant présent et passé, […]

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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