« Le Mal. Chant de D’arco I » d’Antonio Moresco est une rareté, un vrai délice de liberté et d’inventivité créatrice. Ce thriller métaphysique – comme le désigne la critique – présente toutefois quelques faiblesses. Après un départ flamboyant, le récit par moments s’enlise dans une logorrhée répétitive et obsessionnelle qui frise la saturation. On tutoie l’ennui. Dans la dernière partie, heureusement, l’auteur retrouve son punch, renoue avec l’urgence et l’incandescence du début. Ces quelques « défauts » n’entament donc pas l’intérêt de ce roman, la première incursion dans le noir d’un des grands auteurs italiens contemporains, un écrivain qui, né en 1947 à Mantoue, a connu dans sa jeunesse aussi bien le séminaire que la lutte révolutionnaire.

Premier volet d’une trilogie, « Le Mal » commence par une révélation choc du personnage principal: « Je m’appelle D’Arco et je suis un flic mort. » Détail aggravant, et passablement déconcertant, notre héros, bien que retraité de la vie, est toujours en poste, « affecté depuis trois ans au commissariat central de la ville des morts ». Malgré son corps couturé de cicatrices et ses yeux devenus blancs, il mène une existence relativement normale dans cette cité hypermoderne et fébrile, une pépinière de rues et de routes hérissée de gratte-ciel, de centres commerciaux et de chantiers. Un environnement calqué sur le nôtre, à une nuance près. S’il l’on prête l’oreille et que l’on sait écouter, on y entend la nuit des voix déchirant le silence, un chant lent et doux comme une berceuse, le chant des enfants morts.

Chargé par un mystérieux personnage de découvrir l’origine et la cause de cette hécatombe d’enfants, D’Arco se lance dans une croisade littéralement donquichottesque. Epaulé par un tout jeune complice devenu muet à la suite des sévices qu’il a subis, il retourne dans la ville des vivants pour tenter d’arrêter le massacre et châtier les coupables. Armé jusqu’aux dents, il multiplie les opérations spectaculaires, mais arrive toujours trop tard. Les enfants sont déjà morts.

« Le Mal » se présente donc comme une parabole, ou un conte, sur le bien, le mal, la vie, la mort, et même l’amour. Avec la complicité du lecteur, Antonio Moresco s’approprie malicieusement les codes du roman noir pour mieux les détourner. Il nous offre ainsi, sur trois pages, la liste de tous les clichés du genre que l’on ne trouvera pas dans son roman, qu’il s’agisse de descriptions minutieuses de l’horreur, du « catalogue des dernières nouveautés en matière de balistique » ou des différents modèles de pistolets-mitrailleurs. Cela n’empêche pas son héros de réclamer au commissariat de la ville des vivants une longue liste d’armes à mettre à sa disposition. Dont une arbalète avec visée infrarouge, un couteau, une dague et … un petit canon.

 

« Le Mal. Chant de D’arco I ». D’Antonio Moresco. Traduit de l’italien par Laurent Lombard. Les éditions du Chemin de fer, 288 p. En librairie  le 7 novembre 2025.

« Le Mal. Chant de D’arco I » d’Antonio Moresco est une rareté, un vrai délice de liberté et d’inventivité créatrice. Ce thriller métaphysique – comme le désigne la critique – présente toutefois quelques faiblesses. Après un départ flamboyant, le récit par moments s’enlise dans une logorrhée répétitive et obsessionnelle qui frise la saturation. On tutoie l’ennui. […]

Les femmes tiennent rarement les premiers rôles dans les romans d’espionnage. Fan de ce genre éminemment masculin, l’Américaine Anna Pitoniak – alors éditrice chez Random House – s’en désolait. Elle a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et d’écrire elle-même le livre dont elle rêvait. « L’incident d’Helsinki » est son quatrième roman, mais le premier qui s’aventure véritablement dans l’univers des identités troubles et des trahisons institutionnalisées. Il s’articule autour du personnage riche et parfois douloureux d’Amanda Cole, une jeune et brillante espionne, elle-même fille d’espion. L’auteure en profite pour nous rappeler que, dans ce monde très particulier, la guerre froide n’a, de fait, jamais pris fin.

Dans la vie d’un agent secret, il existe des situations particulièrement stressantes. Par exemple d’apprendre, par le biais d’un transfuge, l’assassinat imminent d’un homme politique représentant son pays sans rien pouvoir faire pour l’empêcher. Travaillant à Rome comme adjointe du chef de poste de la CIA, Amanda Cole, 40 ans, se serait bien passé d’une telle expérience qui, outre son professionnalisme, va mettre à l’épreuve ses certitudes et ébranler les fondements même de son existence.

Un mystérieux visiteur

Bref! Voici ce qui s’est passé. Par une chaude et paisible journée de juillet, un homme bouleversé se présente à la porte de l’ambassade des Etats-Unis. Il est Russe. Il s’appelle Konstantin Semonov et – on l’apprend très vite – il travaille pour le GRU, la Direction générale du renseignement. Il annonce à Amanda – alors seule au bureau – que le sénateur américain Robert Vogel, en visite officielle au Caire, va être victime d’un AVC mortel le lendemain, en assistant à une parade militaire.

Semonov n’a bien sûr rien d’un devin. Sans révéler ses sources, il ajoute, espérant ainsi convaincre son interlocutrice: « Il existe des substances chimiques qui déclenchent dans le corps humain des symptômes très semblables à ceux d’un AVC. Si semblables qu’il n’y a aucune raison de mettre en doute la conclusion du médecin. Surtout quand la personne décédée a quatre-vingts ans et une santé fragile. »

Info ou intox? Amanda balance. Elle en réfère aussitôt à son supérieur, qui la prend pour une folle et lui intime de ne pas réagir. Et le lendemain, Vogel meurt, comme annoncé. Taraudée par le remord, Amanda retrouve Semonov encore à Rome et commence à enquêter. Grâce à des papiers retrouvés chez le sénateur Vogel, elle apprend qu’il avait été informé par un riche oligarque de certaines manipulations financières permettant à la Russie de prendre le contrôle de puissantes entreprises étrangères. Dans la foulée, elle découvre dans ces notes lapidaires le nom de Charlie Cole, son propre père, un espion chevronné désormais retraité.

Sidération! Panique! Amanda va-t-elle flancher devant la vérité qu’elle pressent ou poursuivre son enquête jusqu’au bout de l’effroi? Mixant habilement les points de vue grâce à ses différents personnages, émaillant son récit de multiples flash-back, l’écrivaine Anna Pitoniak dénoue fil après fil le nœud d’une trahison qui eut pour cadre l’île de Särkkä, près d’Helsinki. Et pour contexte la fin des années 1980 dans une Finlande toujours sous l’emprise de son puissant voisin russe.

 

« L’incident d’Helsinki ». D’Anna Pitoniak. Traduit de l’anglais par Jean Esch. Gallimard, Série noire, 424 p.

 

Les femmes tiennent rarement les premiers rôles dans les romans d’espionnage. Fan de ce genre éminemment masculin, l’Américaine Anna Pitoniak – alors éditrice chez Random House – s’en désolait. Elle a donc décidé de prendre le taureau par les cornes et d’écrire elle-même le livre dont elle rêvait. « L’incident d’Helsinki » est son quatrième roman, mais […]

La littérature coréenne se révèle parfois d’une cruauté brute et d’une violence quasi-insupportable. Elle peut aussi s’avérer bouleversante d’humanité, de respect, de tendresse.  « Les 8 vies d’une mangeuse de terre » de Mirinae Lee appartient à cette deuxième catégorie. Porté par un art de la narration littéralement envoûtant, ce roman complexe s’ancre, certes, dans la réalité tragique d’un pays malmené par l’histoire, mais comme pour mieux la sublimer.

Mirinae Lee est née et a grandi en Corée du Sud. Elle vit aujourd’hui à Hong-Kong et écrit en anglais. « Les 8 Vies d’une mangeuse de terre », son premier roman, s’inspire de la vie de sa grand-tante qui, comme le personnage principal du livre, avait réussi à fuir la Corée du Nord. Fiction ou réalité? Témoignage ou fantasme? Ce livre composé de huit récits, et dont les propos parfois se recoupent, laisse une place généreuse au doute et à la liberté d’interprétation du lecteur.

L’histoire commence dans une maison de retraite où travaille Lee Sae-ri, l’initiatrice d’un curieux projet: un « programme d’écriture nécrologique ». Parallèlement à ses tâches d’assistante de direction, cette femme un brin déprimée, récemment divorcée, sans enfant, « quarante-sept ans et des kilos en trop », propose aux pensionnaires de lui raconter leur vie. Encourageante, elle suggère à ceux qui peinent à le faire de la résumer en trois mots. C’est dans ce contexte d’une grande intimité qu’elle rencontre l’étonnante et troublante Madame Mook.

Esclave, terroriste, meurtrière et mère

Mook Miran est une vieille dame originale et dynamique. D’emblée, elle lance, pour se définir: « Je suis née japonaise, j’ai été nord-coréenne une bonne partie de mon existence, et maintenant je suis une Sud-Coréenne en fin de vie. » Elle ajoute aussitôt que trois mots, c’est vraiment trop peu, qu’il lui en faut d’avantage pour raconter les différentes facettes de son existence: « Esclave. Reine de l’évasion. Meurtrière. Terroriste. Espionne. Amante. Et mère ». De quoi mettre l’eau à la bouche de sa confidente. Et bien sûr du lecteur captivé et captif que nous sommes devenus dès les premières pages.

Erratique, bondissant, le roman commence en 1961, par la cinquième vie. Il se poursuit en 1938, dans le petit village de Heoguri, près de la banlieue nord de Pyongyang, avec le meurtre d’un père tyrannique et violent. Il intègre aussi cette déroutante révélation: « Je mangeais de la terre quand j’étais jeune ». Mais pas n’importe quelle terre. Et pour nous en convaincre, Mme Mook nous offre une longue, et délicieuse, description de la terre parfaite dont la « viscosité devait être celle d’un riz au jasmin cuit à la vapeur, suffisamment pâteuse pour former une cuillerée, mais assez friable pour être emportée par un souffle ».

Espionne pour gagner sa liberté

Le récit de l’exploitation sexuelle des femmes coréennes par les Japonais, puis par les Américains – terribles sévices auxquels l’héroïne parvient à survivre – représente l’un des moments les plus douloureux du livre. Mais il y est aussi question d’amour. Un amour magique, respectueux, délicat. Lumineux. Et paradoxalement basé sur la duplicité. Championne des changements de noms, jongleuse de vies, Madame Mook – comme sa fille du reste – va donc tout naturellement mettre ses talents au service du gouvernement nord-coréen et devenir espionne. Une manière comme une autre de passer de l’autre côté et, finalement de gagner sa liberté, n’obtenant « la nationalité sud-coréenne qu’une fois ses cheveux devenus gris ». Elle meurt dans la maison de retraite au Soleil-Couchant, quasi-centenaire … et la langue « couverte d’une couche de terre, tel du sucre acidulé sur un bonbon ».

 

« Les 8 Vies d’une mangeuse de terre ». De Mirinae Lee. Traduit de l’anglais par Lou Gonse. Phébus, 318 p.

La littérature coréenne se révèle parfois d’une cruauté brute et d’une violence quasi-insupportable. Elle peut aussi s’avérer bouleversante d’humanité, de respect, de tendresse. « Les 8 vies d’une mangeuse de terre » de Mirinae Lee appartient à cette deuxième catégorie. Porté par un art de la narration littéralement envoûtant, ce roman complexe s’ancre, certes, dans la réalité […]

J’adore les polars du Norvégien Jørn Lier Horst. Je les préfère toutefois écrits à deux plutôt qu’à quatre mains. Bien qu’un peu sec, privilégiant avant tout la dynamique et l’efficacité des dialogues, « Faux-semblant », son deuxième roman cosigné avec le journaliste Thomas Enger, reste fort bon. Il s’avère même par moments virtuose dans l’art de brouiller les pistes, de rebondir et de surprendre. On y retrouve les deux fins limiers apparus dans « Que le meilleur gagne », le premier épisode de cette nouvelle série: l’inspecteur Alex Blix et la jeune journaliste Emma Ramm. Deux êtres discrètement complices que relie un tragique épisode de leur passé commun.

« Faux-semblant » commence comme se terminait le roman précédent, par un compte à rebours. Un événement banal en l’occurrence, celui qui précède l’entrée dans la nouvelle année. Emma n’en est pas moins animée par un terrible pressentiment. Quittant ses proches et le réveillon, elle se rend seule sur la place de l’hôtel de ville où se déroulent les festivités. Et quand minuit arrive, sa crainte se confirme. Parallèlement au feu d’artifice, une terrible explosion survient. La bombe avait été placée dans une poubelle. Bilan: de nombreux blessés et quatre morts, dont Kasper, le compagnon d’Emma.

Appelé en urgence sur les lieux, Blix aperçoit un corps qui flotte dans l’eau du port. Sans hésiter, il plonge dans les flots glacés et ramène à terre une jeune femme inanimée, grièvement blessée. La carte bancaire retrouvée sur elle permet de l’identifier. Elle se nomme Ruth-Kristine Smeplass. Une information qui agit sur Blix comme un électrochoc. Cette femme serait donc la mère de Patricia, la fillette d’un an enlevée dans sa poussette en 2009. Elle ne fut jamais retrouvée, pas plus que son ravisseur.

Pas une minute à perdre. Alors que la police privilégie la piste terroriste, Blix rouvre le dossier, réinterroge les témoins et les proches, constatant dans la foulée que certains ont brusquement et mystérieusement disparu. Bouleversée par la perte de son compagnon, Emma elle aussi se jette à corps perdu dans l’enquête et parvient à remonter la piste des coupables dans le sillage du policier. Pour l’un comme pour l’autre, les pièces du puzzle peu à peu s’assemblent tandis que se multiplient retournements et coups de théâtre. Patricia est-elle encore en vie? Fort habilement et jusqu’à la fin du roman, les deux auteurs parviennent à nourrir le doute et à entretenir le suspense.

 

« Faux-semblant ». De Jørn Lier Horst et Thomas Enger. Traduction de Marie-Caroline Aubert. Gallimard, Série noire, 416 p.

Sur « Que le meilleur gagne », qui sort parallèlement en poche: https://polarspolisetcie.com/un-machiavelique-compte-a-rebours/

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L’immédiat après-guerre a décidément la cote au royaume du polar. Dans cette profusion de nouvelles parutions, dont certaines excellentes, « Nuit et Brouillard » d’Yves Fougères occupe une place à part. Lauréat du prix du Quai des Orfèvres en… 1948, l’année de sa parution, ce roman nous révèle en effet ce que pouvait voir, savoir, et imaginer un homme de 27 ans contemporain des faits.

De son vrai nom Yves Le Souchu, Yves Fougères naît en 1921 à Bordeaux – il meurt très jeune, en1953, à Rions. Se consacrant à la littérature après des études d’histoire, il est l’auteur de plusieurs pièces de théâtre, de nouvelles et de romans. Témoignant d’un vrai talent tant au niveau dramaturgique que styliste, « Nuit et Brouillard » – le nom de code du décret nazi ordonnant la déportation, dans le plus grand secret, de tous les opposants ou ennemis du Troisième Reich – en est le plus célèbre. Ce roman d’espionnage n’avait plus été réédité depuis l’après-guerre. C’est désormais chose faite grâce aux Nouveau Monde éditions. Une des bonnes surprises de la rentrée.

Complexe dans sa construction comme dans son propos, « Nuit et Brouillard » commence le 16 mars 1946. Il démarre avec le récit du lieutenant Karl Weber, un ancien SS qui parvient à s’évader d’une prison française en compagnie de trois autres nazis. A ce premier récit s’ajoute et se mêle un second, celui du lieutenant français Prieur. Envoyé par les services secrets à Freiburg, en Allemagne, il est chargé d’enquêter sur la disparition et le meurtre de deux agents, tout en aidant ses collègues à surveiller Weber. Se faisant passer pour un journaliste censé effectuer un reportage dans la région, Prieur découvre qu’une boîte de nuit locale, la Lune bleue, sert de couverture à un réseau de nostalgiques du Troisième Reich. Des hommes cyniques et sans scrupules bien résolus à rétablir par la force l’ordre ancien en exhortant notamment le peuple allemand à reprendre les armes. Dans ce nid de vipères où chacun dissimule sa véritable identité, il devient de plus en plus difficile de distinguer ses amis de ses ennemis. Le lieutenant Prieur parviendra-t-il à sauver sa peau? Rien n’est moins sûr.

Rappelant que la paix ne se fait pas en un jour et que l’infamie peut, si l’on n’y prend garde, renaître à tout moment de ses cendres, « Nuit et Brouillard » est un roman sombre et lucide. Chez Yves Fougères, le noir se teinte toutefois d’ironie et d’humour. L’auteur se moque ainsi gentiment d’un article rédigé par Prieur: « Beaucoup de généralités. Ce n’était peut-être pas transcendant, mais c’était du journalisme courant. » Il nous offre enfin de très belles descriptions de personnages et de lieux. Et notamment de ce voyage en train « où les tunnels se succédaient avec des grondements de gouffre et où la fumée s’écoulant dense et morte sur les vitres se condensait en vapeur sale ».

 

« Nuit et Brouillard ». D’Yves Fougères. Nouveau Monde éditions, coll. Sang-froid, 256 p.

L’immédiat après-guerre a décidément la cote au royaume du polar. Dans cette profusion de nouvelles parutions, dont certaines excellentes, « Nuit et Brouillard » d’Yves Fougères occupe une place à part. Lauréat du prix du Quai des Orfèvres en… 1948, l’année de sa parution, ce roman nous révèle en effet ce que pouvait voir, savoir, et imaginer […]

Voilà un polar magnifiquement minimaliste. Et d’une diabolique habileté. Republié dans la sélection Classique de la Série Noire plus de soixante-cinq ans après sa première parution en français, « Et pourtant, elle tourne! » de l’Américaine Craig Rice (1908-1957) a pour principal décor une fête foraine située sur une jetée en bord de mer. Au menu, musiques tonitruantes, odeurs de friture, baraques abracadabrantes, amitiés fortes et complicités secrètes. Le fil conducteur du roman, au premier abord, semble lui aussi fort simple: une traque. La traque d’un assassin dont on connaît – ou croit connaître – d’emblée l’identité. Peu de suspense apparemment, mais ne vous y fiez pas trop!

Le meurtre s’est déroulé le temps d’une révolution de la grande roue, en pleine kermesse. La victime, poignardée dans le dos à l’aide d’un couteau de cuisine ordinaire, s’appelait Mac Gurn. Il était le boss des jeux clandestins. Pour les policiers – et pour le lecteur habilement piégé par l’auteure – le rusé Tony Webb s’impose comme le coupable idéal. Non seulement il vient de sortir de prison et se trouvait à la fête foraine au moment du crime, mais il avait un sérieux contentieux avec la victime. Reste à prouver sa culpabilité, et c’est là que tout se complique car Tony s’est fabriqué un solide alibi.

Il existe cependant une faille dans cette machinerie bien huilée. Un témoin potentiel. Au moment du crime, perchée sur un tabouret, Ellen posait pour Amby, le portraitiste de rue sourd-muet installé juste en face de la grande roue. Qu’a-t-elle vu? Art Smith, le chef de la Criminelle voudrait bien le savoir. Tony Webb également. Tous deux vont se mettre à la recherche de la jeune femme et s’éprendre follement de son mystère et de sa beauté. Le policier, qui n’a d’ordinaire pour religion que le règlement et pour bible le « Manuel des procédures policières », ira même jusqu’à évoquer dans son rapport sa « bouche semblable à une rose meurtrie ». On imagine la tête de son supérieur! La métaphore s’avérera tristement prémonitoire.

« Et pourtant elle tourne! » reste un roman atypique dans la production de Craig Rice plutôt tournée vers la comédie policière et le polar loufoque.  De son vrai nom Georgiana Ann Randolph Walker Craig, cette autrice à succès fut, en 1946, la première femme auteure de romans noirs à faire la Une du Time Magazine. Ses livres figuraient alors parmi les plus grosses ventes, aux côtés de ceux de Raymond Chandler ou de Rex Stout. Paru en 1949, « Et pourtant elle tourne! » s’inscrit donc dans une autre veine, plus réaliste et noire. On y retrouve toutefois un des thèmes récurrents de son œuvre, nourri par sa propre biographie, celui de l’abandon. Dans ce magnifique roman, en effet, Ellen, qui aime tant les parcs d’attractions, et le triste policier Art Smith ont tous deux grandi en orphelinat.

 

« Et pourtant, elle tourne! ». De Craig Rice. Traduction de l’anglais de Jacques Papy, révisée par Cécile Hermellin. Préface inédite de Natacha Levet. Gallimard, Collection Série Noire, Série Classique, 254 p.

Voilà un polar magnifiquement minimaliste. Et d’une diabolique habileté. Republié dans la sélection Classique de la Série Noire plus de soixante-cinq ans après sa première parution en français, « Et pourtant, elle tourne! » de l’Américaine Craig Rice (1908-1957) a pour principal décor une fête foraine située sur une jetée en bord de mer. Au menu, musiques […]

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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