- octobre 21, 2024
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Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés en vrac. Une dégustation compulsive qui, comme un leitmotiv obsédant, rythme l’intrigue d’ « Une colère simple », le troisième tome de la série des romans noirs piémontais.
Et dans ce nouveau polar, bien qu’un peu en retrait, on retrouve aussi le tragique et flamboyant Corso Bramard, le mentor d’Arcodipane. Ce policier brillant devenu enseignant à la suite de l’assassinat de sa femme et de sa fille souffre maintenant d’un méchant cancer. Sa maladie ne l’empêche pas toutefois de conserver l’esprit vif et le sens de l’amitié. A ce propos, n’oublions pas de mentionner la pétulante agente Isa Mancini, une as de l’informatique à l’appétit d’ogresse qui travaille désormais à la routière, mais n’hésite pas à donner un coup de main à ses anciens collègues.
« Une colère simple » commence en mineur. Avec une mystérieuse agression à Turin. Une jeune femme est rouée de coups sans raison à la sortie de la station de métro Principi d’Acaja. Elle est hospitalisée dans le coma. La scène a été filmée, l’agresseur portait un masque et un kimono. Un potentiel coupable est arrêté, il avait parié avec son amie de voyager ainsi accoutré, mais en dépit des apparences qui l’accablent, il n’est pas l’agresseur. Visiblement, l’auteur de cet acte barbare cherche à faire accuser quelqu’un d’autre à sa place.
Le récit – qui jusqu’ici louvoyait entre deux belles descriptions de Turin et les pittoresques mésaventures d’Arcodipane sur un site de rencontres – soudain s’accélère. Et trouve son rythme de croisière. Il est vrai que notre tenace et perspicace commissaire peut désormais compter sur un co-équipier supplémentaire, Luigi Normandia. Cet ancien policier passablement illuminé suit la même piste que lui. Et lui révèle l’existence de crimes similaires restés impunis. Plus soudée que jamais, la fine équipe finit par découvrir la cause d’une série de suicides et de morts suspects: un jeu mortifère et pervers enfoui au plus profond d’Internet. Pas de doute, le dark web a ces temps-ci la cote au royaume du bon polar! (https://polarspolisetcie.com/les-derives-criminelles-de-lintelligence-artificielle/).
« Une colère simple ». De Davide Longo. Traduit de l’italien par Marianne Faurobert. Editions du Masque, 350 p.
Chez Davide Longo, lauréat du Prix Le Point du polar européen 2024 (https://polarspolisetcie.com/duo-de-polars-a-la-piemontaise/), les tueurs et les psys sont complètement givrés. Les autres personnages se situent plutôt dans la norme, y compris le commissaire Vincenzo Arcodipane qui soigne son stress et alimente ses maux d’estomac à coup de sucaï (des bonbons à la réglisse) achetés […]
- octobre 8, 2024
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On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les nouveaux rebondissements d’une vaste affaire criminelle liée à l’usage dévoyé de l’intelligence artificielle. Autant dire que le lecteur devra faire fonctionner ses neurones. Mais qu’il se rassure ! L’écrivain, né en 1986 à Varsovie, se révèle un vulgarisateur hors pair en plus d’être un fin spécialiste en la matière. D’emblée, d’ailleurs, il nous prévient : « Au moment de confier ce texte à l’éditeur, il contenait encore d’infimes traces de science-fiction. Au moment de sa publication – ce n’était plus le cas. »
Comme dans les polars précédents, Jakub Szamałek court plusieurs lièvres à la fois. Ou du moins, dans un premier temps, nous en donne l’impression. Car derrière l’effondrement d’un immense réservoir contenant les eaux usées pompées par une mine de cuivre – des « liquides post-flottaison » hautement toxiques et cancérigènes – derrière la diffusion d’un étrange virus informatique qui laisse pantois les meilleurs spécialistes, derrière les alléchants contrats conclus avec des bibliothèques pour numériser leurs fonds, se cache un seul et même homme.
Un personnage machiavélique
Le cerveau diabolique de ces actions criminelles, « l’homme venu de nulle part », « le maître des manipulations en ligne » se nomme Daniel Królak. Aussi insaisissable que puissant, il tire sa force maléfique du génie longtemps méconnu de Pyotr Semenov, un brillant scientifique qui s’est formé dans l’ex-Union soviétique. Pionnier dans les recherches sur l’intelligence artificielle, ce dernier a longtemps vécu à Tomsk, en Sibérie, avant d’être exfiltré aux Etats-Unis.
Cela, Julita Wójcicka l’ignore encore en partie quand démarre « Saturation totale ». Grâce à son flair, à son opiniâtreté et à sa capacité à se glisser à travers les mailles toujours un peu lâches d’internet – un savoir qu’elle doit largement à son complice Jan – elle va remonter les traces infimes laissés par les deux prédateurs. Jusqu’en Suisse. Aussi courageuse qu’inconsciente, elle n’hésite pas alors à se jeter dans la gueule du loup pour faire éclater la vérité. Vous frissonnez ? Par bonheur, le dieu des honnêtes gens n’avait pas pris de cuite ce jour-là. Vous voilà rassurés !
Et pourtant…Et pourtant. Après avoir dévoré la « Trilogie du dark net », pas de doute, on ne contemple plus nos écrans du même œil. Et l’on hésite avant d’offrir nos données en pâture à n’importe qui. Dans un premier temps, en tout cas. Après, on oublie.
« Saturation totale. Trilogie du dark net 3 ». De Jakub Szamałek. Traduit du polonais par Kamil Barbarski. Editions Métailié, 394 p. En librairie le 11 octobre 2024.
On attendait avec impatience la suite des rocambolesques aventures de la journaliste Julita Wójcicka et de son ami Jan, un as de l’informatique un brin autiste. La suite, la voilà et elle tient ses promesses. « Saturation totale », le troisième volet de la « Trilogie du dark net » du Polonais Jakub Szamałek ( https://polarspolisetcie.com/les-marionnettistes-de-lombre/ ), explore avec panache les […]
- octobre 1, 2024
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Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et de ses spécificités. Le récit se situe cette fois-ci un peu plus en amont, soit au moment de l’enquête et non du procès. Il a pour protagonistes un duo pittoresque et efficace formé par la juge d’instruction Emma Toussaint et son fidèle greffier Fabrice Colet, stature de bûcheron norvégien et sourire de présentateur télé. L’écrivain – né en 1953 à Bruxelles – nous précise dans la foulée qu’en plus d’interroger un inculpé, de convoquer des témoins ou d’ordonner des perquisitions, le juge d’instruction belge « a également le droit de délivrer un mandat d’arrêt, ce qui le rend plus redoutable que son alter ego français ».
Le problème, c’est qu’il manque une cinquantaine de juges et une bonne centaine de greffiers pour faire fonctionner la machine judiciaire correctement. Convoquée en urgence par le procureur du Roi dans un bureau qui ressemble « à un appartement- témoin pour adeptes de feng shui », Emma Toussaint doit tout abandonner pour se pencher sur une nouvelle affaire, particulièrement délicate. Tanguy Anselme, un célèbre avocat d’affaires, a été assassiné. Il est soupçonné d’appartenir à un réseau d’évasion fiscale et de blanchiment. Le meurtre remonte à un an déjà, une première équipe et un enquêteur privé s’y sont déjà cassé les dents. Un bel imbroglio en perspective !
Un innocent en prison
Et comme si cela ne suffisait pas, une affaire que l’on croyait classée se rappelle aux bons soins de notre infatigable duo. Alors que sa cheffe s’est absentée, Fabrice Colet – dont les habitudes alimentaires et les goûts vestimentaires donnent lieu à de savoureux paragraphes – réceptionne un appel téléphonique. Une voix anonyme prévient : « Le meurtre de la rue Blanche. Ce n’est pas ce que vous croyez. Elle [la juge Toussaint] a envoyé un innocent en prison. Dites-le-lui. ». Cette affaire, Fabrice s’en souvient comme si c’était hier. Il s’agissait de sa première scène de crime et de son premier cadavre. Une femme de 78 ans, Gisèle Verbiest avait été retrouvée morte à son domicile, tuée de trois coups de couteau. Les soupçons s’étaient immédiatement portés sur un des locataires de l’immeuble, « un junkie tatoué comme un guerrier maori ». A tort, apparemment.
La juge et son greffier vont ainsi devoir mener de fronts deux affaires très différentes qui, surprise, finissent par se télescoper. Quatre suspects incarcérés d’un coup ! Pratique ! De révélation fracassante en fausse piste, l’écrivain Paul Colize multiplie par ailleurs les occasions de nous faire rire ou sourire. La circulation bruxelloise en prend pour son grade. Le détective privé, à l’opposé de son double hollywoodien, a « la cinquantaine ventrue, le cheveu rare et le charme d’un ouvre-boîte ». Quant au snobisme vestimentaire d’un avocat parvenu, il évoque ni plus ni moins qu’« un tracteur agricole camouflé en Bentley ». On aime, ou pas. Mais cela fait drôlement du bien, d’autant que le suspense est nourri et l’intrigue bien construite.
« Le meurtre de la rue Blanche ». De Paul Colize. Editions Hervé Chopin, 314 p. En librairie le 3 octobre 2024.
Humour et didactisme ne s’allient pas volontiers. Mais leur mariage est fructueux quand il est réussi. Paul Colize le prouve avec talent dans « Le meurtre de la rue Blanche » qui, comme son polar précédent « Devant Dieu et les hommes », nous emmène dans les coulisses de la justice belge, dans les méandres de son fonctionnement et […]
- septembre 25, 2024
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Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ». Confrontant présent et passé, ce troisième polar traduit en français s’intéresse à un pan peu connu de l’histoire nationale. Il rappelle qu’en 1941 de jeunes Finlandais se sont engagés volontairement au sein des Waffen-SS pour lutter aux côtés de l’Allemagne nazie contre l’ennemi soviétique. Des jeunes gens « partis en quête de gloire et d’honneur » et qui, loin de revenir en héros, ont dû porter toute leur vie les stigmates de ce qu’ils avaient fait et vécu.
Le récit s’ouvre, en septembre 2019, avec une agression totalement improbable. Albert Kangasharju, un homme de 97 ans vivant en maison de retraite, est brutalement enlevé lors de sa promenade du soir par deux individus vêtus de noir. Sauvé par son infirmière, le vieillard est admis dans un état grave à l’hôpital où il est victime d’une deuxième agression. Et où il est à nouveau sauvé in extremis, cette fois-ci par Jari Paloviita, le policier venu prendre sa déposition. Peu après, deux collègues de Paloviita découvrent près du lieu de l’enlèvement un tabouret renversé et un nœud coulant attaché à la fourche d’un grand arbre. Pas de doute, il s’agissait bien d’une tentative de meurtre. Le nœud, en particulier, retient l’attention des enquêteurs. Il s’agit d’un nœud très spécial, appelé « Yosemite », utilisé par les grimpeurs et les alpinistes.
Une vie de mensonges
Mais qui pouvait bien en vouloir à ce paisible retraité aimé de tous ? Albert Kangasharju était en outre un ancien combattant méritant et couvert de médailles, états de service dont il se glorifiait volontiers. Et si c’était justement là que se cachait la clé de l’énigme ? Et si la longue vie de cet homme reposait sur des silences puants et de lâches mensonges ? Sceptiques au départ, les policiers vont peu à peu se rallier à cette hypothèse. Notamment quand un deuxième homme très âgé, un ancien combattant lui aussi, est enlevé et exécuté par pendaison. Stupéfaction : on découvre en fouillant sa maison que Klaus Halminen s’était battu dans les rangs de la Waffen-SS pendant la Seconde Guerre mondiale.
Grâce à l’écrivain Arttu Tuominen, le lecteur francophone découvre tout un pan complexe de l’histoire finlandaise. Il apprend que se sont succédé la guerre d’Hiver, la guerre de Continuation et la guerre de Laponie, tout en se rappelant que le pays fut, dans un premier temps, l’allié de l’Allemagne nazie. Très précis, habilement construit, n’escamotant ni les scènes de guerre ni les massacres mais sans s’y complaire, « Tous les silences » se permet aussi des accents lyriques pour décrire un état d’âme, un paysage de brouillard et d’eau, « un parfum d’automne, de feuilles mouillées et de pelouse ». De quoi se régaler en attendant la suite. Les trois derniers volets de la série « Delta noir » – en référence au fleuve Kokemäenjoki qui se jette dans la mer Baltique – n’ont pas encore été traduits en français. Mais cela ne saurait tarder, et ils s’annoncent passionnants.
« Tous les silences ». D’Arttu Tuominen. Traduit du finnois par Claire Saint-Germain. Editions de La Martinière, 422 p.
Ingénieur environnemental et écrivain, Arttu Tuominen – né en 1981 à Pori – ne craint pas de révéler des facettes sombres et peu glorieuses de son pays, la Finlande. Après avoir évoqué l’homophobie dans « La Revanche », lauréat du prestigieux Prix Palle Rosenkrantz, il poursuit sur sa lancée avec « Tous les silences ». Confrontant présent et passé, […]
- août 28, 2024
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« Mater dolorosa », le nouveau roman noir de Jura Pavičić, n’est pas un livre que l’on dévore. C’est un livre qui vous imprègne, mot après mot, phrase après phrase – des phrases souvent magnifiques – un livre qui vous laisse déconcertée, un peu transie, comme imbibée de fatalité triste. La fatalité des gens modestes, notamment des femmes et des mères dont la vie, inexorablement, dérape vers le malheur et l’échec.
Dans « L’Eau rouge », paru en français en 2021 et plusieurs fois primé, Jura Pavičić – né en 1965 à Split – convoquait l’histoire récente de son pays. Dans « Mater Dolorosa », son quatrième ouvrage publié chez Agullo, il se concentre davantage sur le présent pour nous offrir un gros roman aux allures de tragédie grecque. Trois personnages se partagent la scène en cet automne humide de 2022 : Katja, la mère, Ines, la fille, et Zvone, le policier. Avec un collègue plus âgé, un ancien cadre de la police yougoslave, Zvone enquête sur la mort d’une jeune fille de 17 ans, Viktorija Zeba, la fille de deux médecins connus, retrouvée violée et assassinée dans une usine désaffectée de la zone industrielle de Split. A la fois sobre, précise et très visuelle, la description de cette usine de PVC pose à elle seule le ton d’un livre toujours à fleur de peau du passé.
Les liens du sang
Le principal suspect, Mario, n’est autre que le fils de Katja et le frère d’Ines. L’écrivain ne lui donne jamais la parole. Et le jeune homme ne laisse rien paraître de ce qui a pu se passer. C’est un fantôme blanc et lisse, amorphe et indifférent, qui passe ses journées à ne rien faire, ou pas grand-chose. Les deux femmes savent qu’il est coupable, elles ont retrouvé des objets l’incriminant, mais elles tentent de se voiler la face. Elles n’y peuvent rien, les liens du sang sont les plus forts. L’une et l’autre vont garder le silence quitte à ce qu’un homme innocent, mais au passé douteux, soit accusé à sa place.
Zvone n’est pas dupe. Il sait que Mario a tué, et redoute qu’il ne récidive. Mais il a lui aussi ses fardeaux, qui pèsent lourd sur son quotidien, les coups bas d’un collègue arriviste, une mère qui a refait sa vie en Australie, un père rentré malade et invalide de la guerre, « un jeune vieillard, un enfant-vieillard dont il faut s’occuper. Alors que les gens de sa génération pouponnent et veillent sur des bambins au teint pourpre, Zvone veille sur un petit enfant gâté, blanc, frêle et desséché. »
De page en page une autre vérité parallèlement se dégage, impérieuse, obsédante : l’amour-haine de l’auteur pour sa ville, « cette ville dure et exigeante, chaque jour plus rude et plus laide », comme l’exprime l’un de ses personnages. Car c’est à elle, finalement, que Jura Pavičić réserve le premier rôle, faisant de Split la véritable héroïne tragique de ce roman noir. Une Split inconnue des touristes dont il décrit avec tendresse les quartiers gris de l’ère communiste, les « reliques de ruines d’ex-à peu près tout », et même le cimetière, le cimetière « inachevé, comme est inachevé tout ce qui l’entoure ici : les maisons, le travail, les ambitions, les vies ».
« Mater dolorosa ». De Jura Pavičić. Traduit du croate par Olivier Lannuzel. Agullo Editions, Agullo Noir, 396 p. En librairie le 5 septembre 2024.
« Mater dolorosa », le nouveau roman noir de Jura Pavičić, n’est pas un livre que l’on dévore. C’est un livre qui vous imprègne, mot après mot, phrase après phrase – des phrases souvent magnifiques – un livre qui vous laisse déconcertée, un peu transie, comme imbibée de fatalité triste. La fatalité des gens modestes, notamment des […]
- août 19, 2024
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- Europe, Polars
Un nouveau Donna Leon ? Voilà qui augure d’un abordage tout en douceur des tourbillons de la rentrée et des brumes de l’automne. Chacun des polars de la célèbre écrivaine américaine, 82 ans cette année, représente un inestimable cadeau offert à ses fidèles lecteurs et à Venise qui, des décennies durant, fut a ville de cœur et d’adoption. Depuis quelques années, Donna Leon n’y vit plus à plein temps – elle s’est établie en Suisse. Cela ne l’empêche pas de continuer à célébrer avec ferveur les charmes de la Cité des Doges tout en explorant ses arrière-cours et ses secrets enfouis.
Dans « Le Palais de l’infortune » – la trente-deuxième enquête du commissaire Brunetti – c’est justement du passé que viendra la résolution de l’énigme. Et la triste confirmation que les révolutionnaires d’hier grossissent souvent les rangs des ultra-conservateurs d’aujourd’hui. Mais trêve de morale à deux sous ! C’est d’un meurtre dont il est d’abord question dans ce roman qui, comme de coutume, prend le temps de poser décor et contexte tout en nous plongeant dans le quotidien professionnel et familial de Brunetti. Finalement, c’est donc au tiers du livre que démarre vraiment l’histoire avec l’annonce, un soir de novembre, qu’un corps a été aperçu par un passant, flottant dans un canal. Après un repêchage d’anthologie, le mort se retrouve enfin au sec.
Le défunt se nomme Inesh Kavinda. Il est Sri Lankais. En échange de divers services rendus aux propriétaires, il vivait dans une petite maison située dans le jardin ensauvagé du palazzo Zaffo dei Leoni, situé près du campiello de la Cason. Dans la bibliothèque bien garnie de la victime, Brunetti découvre, stupéfait, des brochures et des coupures de presse renvoyant à l’époque des années de plomb.
Une disparition inexpliquée
Pourquoi ce surprenant intérêt pour les Brigades rouges ? Que cherchait-il à savoir ou à comprendre ? En dénouant les fils de l’énigme, le commissaire tombe sur la disparition, restée inexpliquée, d’un professeur d’université dans les années 1980. Il commence alors à soupçonner Renato Molin, le très hautain et fort peu sympathique propriétaire du palazzo Zaffo dei Leoni, de dissimuler un passé des plus troubles.
Voilà pour la trame. Mais chez Donna Leon, si l’enquête est importante, elle reste d’abord un prétexte, un sésame pour s’introduire dans les milieux les plus divers, soulever différents problèmes de société et nous organiser d’émouvantes rencontres avec des très beaux personnages. C’est ici le cas d’une vieille religieuse, qui vit dans une congrégation bénédictine installée juste à côté du palazzo Zaffo dei Leoni, et qui, avec amour, a recueilli Sara, la chienne de la victime. Une chienne qui, bien incidemment, va participer activement à la découverte de la vérité.
« Le Palais de l’infortune ». De Donna Leon. Traduit de l’anglais par Gabriella Zimmermann. Calmann-Lévy Noir, 332 p. En librairie le 21 août 2024.
Un nouveau Donna Leon ? Voilà qui augure d’un abordage tout en douceur des tourbillons de la rentrée et des brumes de l’automne. Chacun des polars de la célèbre écrivaine américaine, 82 ans cette année, représente un inestimable cadeau offert à ses fidèles lecteurs et à Venise qui, des décennies durant, fut a ville de cœur […]
A propos de ce blog
Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.
Photo: Lara Schütz