Ce livre n’aurait pas dû voir le jour. Louise Penny nous le confie à la fin d' »Au royaume des aveugles ». Après le décès de son mari qui lui avait inspiré le personnage du policier québécois Armand Gamache, l' »Agatha Christie canadienne », comme l’a surnommée la presse, se sentait incapable de continuer la série. Et puis cette nouvelle enquête – il faudrait plutôt dire ces nouvelles enquêtes car comme toujours ce roman est largement polyphonique – a vu le jour presque indépendamment de sa volonté, un peu par miracle. Et sans tristesse. « Non pas par obligation, mais dans la joie », précise-t-elle.
« Au royaume des aveugles », ce sont donc deux enquêtes parallèles, deux affaires indépendantes avec pour ancrage commun Armand Gamache et son équipe. Nous sommes en plein l’hiver. Le directeur général de la Sûreté du Québec, ou ex-directeur selon les points de vue, a été suspendu à la suite d’une opération controversée en lien avec un trafic d’opioïdes. Il s’agissait d’empêcher à tout prix la diffusion du carfentanil, cent fois plus intense que le fentanyl, « une drogue si puissante, si dangereuse qu’elle finissait par tuer presque tous ceux qui en prenaient » (https://polarspolisetcie.com/le-noir-visiteur-du-soir-dhalloween/).
L’intervention policière a réussi, la bande criminelle a été neutralisée, mais une partie de la dangereuse substance est restée dans la nature. Tombée dans de mauvaises mains, elle pourrait ressurgir d’un jour à l’autre et faire d’immenses dégâts. Pour la retrouver, et ainsi laver sa « faute » envers la société, Gamache es prêt à tout, même à tromper ses pairs. L’occasion d’une plongée cauchemardesque dans le quartier des toxicomanes, prostitué(e)s et autres déshérités de Montréal.
Un mystérieux testament
La deuxième affaire semble a priori plus légère. Elle tourne autour d’un étrange courrier reçu par Gamache, une lettre qui lui donne rendez-vous dans une maison abandonnée. Intrigué, il se rend sur place et, très surpris, y retrouve Myrna, psychologue à la retraite, une amie vivant comme lui dans le petit village (fictif) de Three Pines. S’ajoute au duo une troisième larron parfaitement inconnu des deux autres. Les trois « élus » apprennent alors du notaire qui les a réunis qu’ils ont été désignés comme exécuteurs testamentaires par Bertha Baumgartner, une femme de ménage qui se faisait appeler la Baronne. Un canular? Pas vraiment, d’autant que peu après l’un des trois héritiers de la Baronne, l’aîné, est retrouvé assassiné dans la maison effondrée. Délicate mais menée de main de maître, l’enquête révélera que, contrairement aux préjugés, la beauté peut parfois faire bon ménage avec l’honnêteté et la bonté.
Comme d’habitude, Louis Penny nous tient en haleine de bout en bout, tout en nous régalant de petits plats du cru, ragoût de bœuf et croustade aux pommes chaude, accompagnée de crème épaisse. Elle nous offre quelques conseils pour résister à la violence de l’hiver canadien – moins 35 degrés – et pointe la regrettable habitude des Québécois de perdre leurs gants, leurs mitaines et même leurs couvre-chefs en sortant de leur voiture. « Posés sur leurs genoux durant le trajet, ces articles oubliés finissaient dans la neige. Au printemps, le sol était jonché de crottes de chien et de vers de terre. Mais aussi de bonnets, de mitaines et de gants détrempés. »
« Au royaume des aveugles ». De Louise Penny. Traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Actes Sud, Actes noirs, 444 p.