Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

De même qu’il existe des villages-rues, il existe des polars-villes. Dans ces romans propices à l’errance, la ville elle-même, ses atmosphères et ses habitants ont les premiers rôles.  L’histoire, le mystère et l’énigme viennent ensuite, comme la cerise sur le gâteau ou la crème dans le baba au rhum. Les polars d’Antonio Paolacci et Paola Ronco participent de cette logique-là. Les deux auteurs – un couple – ont choisi de placer Gênes, leur ville d’adoption, au cœur des intrigues de leurs polars. Après « Nuages baroques » qui parallèlement sort en poche, c’est avec « Le Point de vue de Dieu » qu’ils poursuivent leur hommage malicieux et taquin. Et qui ne se prive pas de stigmatiser le caractère parfois peu accueillant des locaux.

Comme cadre et théâtre de ce deuxième livre, Antonio Paolacci et Paola Ronco ont choisi la vieille ville, plus précisément l’église de San Fredegiso, édifice imaginaire largement inspiré par l’église de San Pancrazio. C’est là, en plein centre historique, que le drame éclate par un beau dimanche de début d’été. Juste après avoir reçu l’eucharistie, le professeur Sergio Bruzzone, 78 printemps portés avec panache, s’effondre. Il vient d’être assassiné, empoisonné au cyanure. Or il n’avait rien ingéré d’autre qu’une hostie, l’hostie sans gluten qui lui était spécifiquement réservée. Car Bruzzone était cœliaque, et l’assassin visiblement le savait.

Dépêché sur les lieux, le sous-préfet de police adjoint Paolo Nigra – que beaucoup s’entêtent à appeler commissaire – se retrouve au centre d’une volière caquetante de retraités paniqués. Composant l’essentiel de l’assemblée des fidèles, tous étaient amis ou proches de la victime. A l’initiative de ce dernier, ils se réunissaient même chaque semaine dans le cadre d’un club de lecture spécialisé dans l’analyse et le commentaire de romans policiers.

Une fiction dans la fiction

Vous l’avez compris, nos auteurs aiment les clins d’œil. Et du reste ne s’arrêtent pas à cette seule mise en abyme. Ils ont même imaginé une fiction dans la fiction, une série policière télévisuelle dont l’acteur principal – incarnant le fameux commissaire Scognamiglio – n’est autre que Rocco, le compagnon de Nigra. Un télescopage qui nous vaut une scène assez hilarante quand le sous-préfet interroge un suspect tandis que dans la pièce voisine résonnent sur le petit écran les répliques tonitruantes du flic du feuilleton le plus populaire d’Italie.

Cela dit, reste bien sûr une énigme, centrale et coriace. Qui pouvait souhaiter la mort de Bruzzone ? Sa jeune et énigmatique veuve ? Ses amis qui tous détestaient cet homme arrogant, imbuvable et sadique ? Sans compter qu’à ces possibles suspects s’ajoute le délire conspirationniste d’un collègue et ennemi de Nigra qui voit dans l’empoisonnement du vieil homme l’acte d’un fanatique islamiste. Bref, on n’est pas sorti de l’auberge, d’autant que le substitut du procureur, en fin lettré malicieux, nous renvoie aux théories de Gilbert Keith Chesterton sur le « faire semblant » dans le roman policier après avoir cité doctement Sherlock Holmes : « Quand on a éliminé l’impossible, tout ce qui reste, même l’improbable, doit être la vérité ».

 

« Le Point de vue de Dieu ». D’Antonio Paolacci & Paola Ronco. Traduit de l’italien par Sophie Bajard. Rivages/Noir, 382 p.

 

 

 

 

Parution simultanée en poche : « Nuages baroques ». D’Antonio Paolacci & Paola Ronco. Traduit de l’italien par Sophie Bajard. Rivages/Noir (Poche), 384 p. https://polarspolisetcie.com/le-mystere-de-lhomme-en-rose/

Mireille Descombes

Mireille Descombes

Scènes et mises en scène: le roman policier, l'architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d'art, d'architecture et de théâtre.

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A propos de ce blog

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Photo: Lara Schütz

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