Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Les bisons sont un sujet délicat dans le Montana. Un peu comme les loups dans nos contrées. On les aime bien, on les respecte, on les admire, mais à condition qu’ils restent discrets. S’ils deviennent trop nombreux ou dangereux pour les troupeaux – ils peuvent apparemment transmettre la brucellose au bétail – ils sont abattus sans état d’âme par le gouvernement. Au grand dam de leurs défenseurs. Pour évoquer ce thème éminemment complexe, l’Américain Keith McCafferty a imaginé un polar lui aussi complexe. On y retrouve toute la fine équipe des romans précédents : la shérif Martha Ettinger, son adjoint indien Harold Little Feather et Sean Stranahan, peintre, pêcheur à la mouche, enquêteur occasionnel et ancien amoureux de Martha.

L’histoire démarre au lendemain de la fête du 4 juillet, dans la vallée de la rivière Madison, à deux pas des Palisades Cliffs. Un troupeau de bisons vient d’y trouver la mort : il semble s’être littéralement suicidé en se jetant dans le vide. A-t-il été effrayé par les feux d’artifice ? Des chasseurs les auraient-ils piégés et contraints à sauter ? Les rumeurs courent, les hypothèses fusent. On parle de buffalo jump (« précipice à bisons »), ou de pishkun, une ancienne pratique de chasse autochtone. Intrigués et perplexes, la shérif Martha et son adjoint se rendent sur place. Horrifiés, ils y découvrent le cadavre d’un jeune indien affreusement mutilé. Ce dernier avait été vu peu avant en compagnie de Blancs, des jumeaux poursuivis par une réputation douteuse. Bref, ça sent le roussi !

Mais comment y voir clair dans cet imbroglio ? Pour découvrir la pièce manquante du puzzle, les deux policiers vont avoir besoin de Sean Stranahan. Et ça tombe bien ! L’ancien privé vient de tomber sous le charme d’une sirène, une jeune femme qui nage dans l’aquarium géant du Trout Tails Bar et qui vient de l’engager pour retrouver un homme qu’elle a aimé. Or il s’avère que cet Indien a lui aussi participé au pishkun.

Après quelques leçons de pêche à la mouche, et un magnifique voyage au cœur de la nature sauvage, la vérité s’impose enfin. Tandis que l’amour, tel le phénix, semble toujours prêt à renaître de ses cendres. Parce que, comme l’énonce doctement Sean Stranaham, « le vrai amour ne recherche ni la logique ni la luxure, mais la synchronisation des battements des cœurs ».

 

« Buffalo Blues ». De Keith MacCafferty. Traduit de l’américain par Marc Boulet. Gallmeister, 486 p.

Les bisons sont un sujet délicat dans le Montana. Un peu comme les loups dans nos contrées. On les aime bien, on les respecte, on les admire, mais à condition qu’ils restent discrets. S’ils deviennent trop nombreux ou dangereux pour les troupeaux – ils peuvent apparemment transmettre la brucellose au bétail – ils sont abattus […]

Neuf Américains, sans aucun lien apparent, reçoivent une liste de noms.  Neuf noms où figurent le leur. L’envoi est anonyme, l’enveloppe également. Quelques destinataires pensent à une blague, d’autres à un envoi publicitaire. Ils ne s’en soucient guère jusqu’à ce que l’un d’entre eux ne meure, assassiné. Puis un deuxième, un troisième, et ainsi de suite. Agente du FBI, Jessica Winslow figure elle aussi sur la liste. Elle devine que celle-ci n’est pas arbitraire et partage ses inquiétudes avec un collègue. Mais le tueur est imprévisible et rusé. Les enquêteurs parviendront-ils à enrayer le terrifiant compte à rebours ?

Cette histoire vous fait penser aux « Dix petits nègres » d’Agatha Christie – rebaptisé « Ils étaient dix » dans la version française en 2020 – et vous avez bien raison. « Neuf vies » de l’Américain Peter Swanson, 55 ans, se veut un hommage avoué, et du reste talentueux, à la reine du polar britannique. Au départ, certes, le modèle semble un peu encombrant, voire agaçant, mais on l’oublie vite pour se prendre au jeu d’une énigme qui livre juste ce qu’il faut d’indices afin de maintenir le lecteur en haleine. Econome de mots, sobre mais efficace, Swanson excelle dans l’art du portrait. Certains de ses personnages sont clairement odieux, mais la plupart sont plutôt sympathiques et attachants, au point que l’on se surprend à trembler pour leur vie, en espérant, à tort, que l’auteur va les épargner.

Bref, un polar à dévorer sans se casser la tête, avec un plaisir certain, et quelques bons frissons.

 

« Neuf vies ». De Peter Swanson. Traduit de l’américain par Christophe Cuq. Gallmeister, 400 p. En librairie le 4 janvier 2024.

Neuf Américains, sans aucun lien apparent, reçoivent une liste de noms.  Neuf noms où figurent le leur. L’envoi est anonyme, l’enveloppe également. Quelques destinataires pensent à une blague, d’autres à un envoi publicitaire. Ils ne s’en soucient guère jusqu’à ce que l’un d’entre eux ne meure, assassiné. Puis un deuxième, un troisième, et ainsi de […]

On croyait avoir tout vu ! Grave erreur ! Après une quinzaine de polars, tous passablement addictifs, l’écrivaine canadienne Louise Penny parvient encore à nous surprendre. Dans son dernier roman « Maisons de verre », et pendant plus de 350 pages, elle réussit ainsi, sans ébrécher le moins du monde notre intérêt, à nous cacher le nom de l’accusée d’un procès aux enjeux des plus complexes. Ce procès s’articule autour de la figure forte et rassurante d’Armand Gamache, l’enquêteur fétiche de Louise Penny, interrogé cette fois-ci comme témoin. Il vient par ailleurs d’être nommé directeur général de la Sûreté du Québec, un poste loin d’être une sinécure.

Le récit commence un soir d’Halloween, à Three Pines, le petit village québécois fictif dans lequel Louise Penny enracine tous ses polars. Alors qu’Armand Gamache, ses proches et leurs amis sont réunis pour l’occasion, une mystérieuse créature masquée vêtue d’une robe noire à capuchon fait irruption dans le bistro où se tiennent les festivités. Impossible d’entrer en contact avec elle. Gamache est traversé par un sinistre pressentiment. Et si c’était la mort qui, brutalement, s’invitait dans la chaleur de la fête ? Le malaise se confirme le lendemain quand les villageois constatent que le visiteur est toujours là, immobile, planté dans le parc d’où, imperturbable, il fixe quelque chose ou quelqu’un d’invisible. On tente de l’interroger, de lui demande de partir. En vain. Et quand, deux jours plus tard, la silhouette noire enfin disparaît, elle laisse derrière elle le cadavre d’une jeune femme, une architecte de passage au village, retrouvée morte dans le sous-sol de l’église, revêtue des habits noirs de l’intrigant fantôme.

Une affaire en cache une autre

L’enquête et le suspense ne font que commencer.  D’autant que, dans ce roman, une affaire en cache une autre, en lien avec le trafic de drogues et la crise des opioïdes. Rendus méfiants par la corruption qui gangrène jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, Gamache et quelques collaborateurs fidèles tentent de piéger les cartels qui, avec une terrifiante insolence et une quasi-impunité, inondent le Québec et les Etats-Unis de substances mortelles. La confrontation entre policiers et criminels sera sanglante. Mais soyez rassuré ! Gamache s’en sort sans mal. Et comme toujours Louise Penny contrebalance les moments de tensions extrêmes par des pauses chaleureuses où le lecteur se régale de la cuisine savoureuse du bistrot du village tout en appréciant les propos délirants, provocateurs, et souvent pertinents, de Ruth, la vieille poète un peu folle et passablement alcoolique qui ne se déplace jamais sans sa cane Rose. Un volatile des plus pittoresques qui, ayant hérité le grossier parler de sa patronne, ne cesse de répéter à sa suite, « fuck, fuck, fuck ». Mais qui donc pourrait lui en vouloir ?

 

« Maisons de verre ». De Louise Penny. Traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Actes Sud, coll. Actes noirs, 446 p.

On croyait avoir tout vu ! Grave erreur ! Après une quinzaine de polars, tous passablement addictifs, l’écrivaine canadienne Louise Penny parvient encore à nous surprendre. Dans son dernier roman « Maisons de verre », et pendant plus de 350 pages, elle réussit ainsi, sans ébrécher le moins du monde notre intérêt, à nous cacher […]

Avec ses trafics, ses magouilles et son snobisme, avec ses cotes faramineuses et ses collectionneurs un peu fêlés, le milieu de l’art, notamment contemporain, représente un terrain de chasse rêvé pour les auteurs de romans noirs. L’Américaine Maria Hummel – ancienne secrétaire d’édition au fameux MOCA (Museum of Contemporary Art) de Los Angeles, aujourd’hui professeur à l’université du Vermont – a consacré à ce petit monde interlope un polar tout à la fois riche en suspense, subtilement féministe et délicieusement ironique, « Le musée des femmes assassinées » (https://wp.me/pacAvQ-9R). Toujours engagée, lucide et critique, elle récidive avec « Leçon de rouge », plus spécifiquement consacré à l’atmosphère hautement compétitive et un brin malsaine des grandes écoles d’art.

Bien qu’il s’agisse clairement d’une suite, « Leçon de rouge » peut parfaitement se lire indépendamment. Sans tout savoir du passé de Maggie Richter, on comprend sans peine que cette enquêtrice hors pair, une ancienne journaliste devenue rédactrice-correctrice au Rocque Museum de Los Angeles, a vécu quelques péripéties douloureuses. Après s’être réfugiée dans son Vermont natal pour récupérer, elle se retrouve à nouveau sur la brèche. Sa mission, inofficielle : faire la lumière sur le suicide inexpliqué de Brenae Brasil, l’une des plus brillantes étudiantes du LACC, une école où obtenir un diplôme revient « à intégrer un des cercles artistiques les plus sélects de Los Angeles ». Comme dans le précédent polar de Maria Hummel, Maggie peut compter sur l’aide d’un mystérieux et séduisant détective privé qui, découvre-t-elle, enquête en parallèle sur la mort de son propre frère.

Une galerie se transforme en tombeau

L’une des dernières œuvres de l’étudiante décédée s’intitule « Packing ». Il s’agit d’un film qui, présenté à titre posthume dans un festival branché, a suscité d’emblée l’adhésion d’un public avisé. Il évoque, de façon détaillée, la semaine que l’artiste avait passée en portant sur elle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une arme chargée, celle-là-même avec laquelle elle a mis fin à ses jours. Comme d’autres spécialistes, Maggie l’a découverte avec émotion. Elle s’intéresse toutefois davantage à « Lesson in red », une vidéo crue, sombre, insoutenable où Brenae Brasil semble elle-même victime d’un viol, avant que l’écran ne soit progressivement envahi par une teinte rouge. Apparemment, ce travail dérangeant avait été volontairement effacé par une main malveillante peu après la mort de son auteure. Par chance, une copie en subsiste. Le point de départ d’une traque qui va mener notre enquêtrice et son complice dans les inquiétantes coulisses d’une galerie branchée menaçant de se transformer en mortelle sépulture.

« Leçon de rouge ». De Maria Hummel. Traduit de l’anglais par Thierry Arson. Actes Sud, coll. Actes noirs, 334 p.

Avec ses trafics, ses magouilles et son snobisme, avec ses cotes faramineuses et ses collectionneurs un peu fêlés, le milieu de l’art, notamment contemporain, représente un terrain de chasse rêvé pour les auteurs de romans noirs. L’Américaine Maria Hummel – ancienne secrétaire d’édition au fameux MOCA (Museum of Contemporary Art) de Los Angeles, aujourd’hui professeur […]

Je vais être franche avec vous. Je ne pratique pas la pêche à la mouche. Je n’apprécie pas particulièrement les cow-boys, les rodéos, les ranchs et tout ce qui va avec. Et pourtant, je raffole des enquêtes de la shérif Martha Ettinger et du privé Sean Stranahan, des polars qui précisément tournent autour de ces univers-là. Il est vrai que l’auteur, Keith McCafferty, n’a pas son pareil pour vous attirer dans ses rets et vous entraîner à sa suite dans les intrigues les plus drues, avec en bonus les magnifiques paysages du Montana, quelques lynx, un ours et des pumas rôdant alentour.

Lui-même passionné de pêche à la truite, Keith McCafferty – dont les sept romans ont reçu de nombreux prix littéraires – a le sens des titres qui font mouche. Voici donc « Le Baiser des Crazy Mountains », une histoire dont je vous mets au défi de découvrir le fin mot avant la dernière partie. Un récit romanesque, voire épique qui, comme il se doit, commence par une macabre découverte.

Un bonnet de Père Noël

Max Gallagher, un auteur de romans policiers en perte de vitesse, a loué un bungalow au cœur des Crazy Mountains. Il y cherche l’inspiration tout en sirotant du bourbon. Au moment d’allumer un feu pour se réchauffer, il se rend compte que quelque chose obstrue la cheminée. En cherchant à la libérer, il fait tomber un chiffon rouge dans le foyer: un bonnet de Père Noël. Intrigué, notre homme monte sur le toit, tente de dégager les brindilles accumulées par des corbeaux et découvre….deux cavités oculaires vides.

Appelés en renfort, la shérif Martha Ettinger et son équipe dégagent de l’étroit conduit le cadavre d’une jeune fille. Elle s’appelle Cinderella Huntington, elle a disparu depuis plusieurs mois et elle est enceinte. Elle est par ailleurs la fille d’une championne de rodéo aussi volcanique que séduisante qui engage Sean Stranahan pour enquêter parallèlement aux officiels, à ses risques et périls. Et des risques, cet artiste peintre et pêcheur à la mouche passionné n’hésite jamais à en prendre.

Un puzzle géant

La suite va se déployer comme une mise en scène sophistiquée. En habile chef d’orchestre, Keith McCafferty fait intervenir une foule de personnages haut en couleurs et toujours précisément décrits qui peu à peu recomposent un puzzle géant suggérant ce que pourrait être la vérité. Avec en prime quelques belles descriptions de paysages, à l’image de cette vision d’un étang niché en contrebas du bungalow dont  les berges sont frangées de glace et où « la surface de l’eau reflète en taches lilas et fuschia la voûte céleste de cette belle soirée printanière du Montana ».

« Le Baiser des Crazy Mountains ». De Keith McCafferty. Traduit de l’américain par Marc Boulet. Gallmeister, 486 p. En librairie le 6 mai.

 

Je vais être franche avec vous. Je ne pratique pas la pêche à la mouche. Je n’apprécie pas particulièrement les cow-boys, les rodéos, les ranchs et tout ce qui va avec. Et pourtant, je raffole des enquêtes de la shérif Martha Ettinger et du privé Sean Stranahan, des polars qui précisément tournent autour de ces […]

Vous rêvez de pénétrer dans les coulisses d’un grand musée? Vous cherchez à vous initier aux rouages passionnants, mais parfois pervers, de l’art contemporain? Le tout avec des spécialistes? « Le Musée des femmes assassinées » est fait pour vous. Sans tomber dans le roman à clé, Maria Hummel parle en initiée, elle qui fut secrétaire d’édition au MOCA (Museum of Contemporary Art) de Los Angeles avant de devenir professeur à l’université de Stanford, puis du Vermont. Et l’on devine sans peine que la narratrice de ce captivant polar, la blonde Maggie Richter, lui ressemble quelque peu.

Native précisément du Vermont, la Maggie du roman s’est initiée toute jeune au journalisme d’investigation avec un ponte du genre. Après un détour par la Thaïlande où elle rencontre Greg Ferguson, elle s’installe à Los Angeles avec son compagnon. Elle travaille au Rocque Museum comme rédactrice-correctrice. Il devient galeriste. Le couple toutefois se sépare quand Greg tombe amoureux d’une artiste célèbre, la belle et intrigante Kim Lord dont le processus créatif ressemble à une synthèse de plusieurs démarches artistiques qui nous sont désormais familières. Kim Lord, en effet, se photographie déguisée et maquillée en quelqu’un d’autre. Ces clichés lui servent ensuite de point de départ à la réalisation de peintures, avant d’être détruits.

Autoportrait de l’artiste en victime d’assassinat

Voilà pour le background de l’histoire proprement dite, qui commence à quelques heures du gala d’ouverture de « Natures mortes », la nouvelle exposition de Kim Lord. Il s’agit d’une série de onze autoportraits dans lesquels l’artiste incarne autant de femmes qui furent sauvagement assassinées. Dénonciateur, provocateur, à l’évidence un brin malsain, ce thème a de quoi séduire collectionneurs et amateurs d’art fortunés, une foule élégante et snob qui se presse ce soir-là pour déguster petits fours, champagne et discours. Seul bémol, et de taille: Kim Lord  a disparu. Elle a déjà manqué les interviews agendés avant la réception et ne se montrera pas de la soirée. Tout le monde, même son compagnon, ignore où elle se trouve. Et l’on commence à craindre le pire.

Ignorant les mises en garde de ses proches et de la police, Maggie retrouve ses vieux réflexes d’enquêtrice. Elle fouine dans les dossiers et les biographies, remonte des pistes, fait tomber des masques. Au péril de sa vie. Ce qu’elle découvre du monde de l’art et des relations humaines qui s’y tissent est plutôt terrifiant. Que cela ne vous empêche pour autant d’aimer les musées.

« Le Musée des femmes assassinées ». De Maria Hummel. Traduit de l’anglais par Thierry Arson. Actes Sud, 402 p.

Vous rêvez de pénétrer dans les coulisses d’un grand musée? Vous cherchez à vous initier aux rouages passionnants, mais parfois pervers, de l’art contemporain? Le tout avec des spécialistes? « Le Musée des femmes assassinées » est fait pour vous. Sans tomber dans le roman à clé, Maria Hummel parle en initiée, elle qui fut secrétaire d’édition […]

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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