Voilà un polar magnifiquement minimaliste. Et d’une diabolique habileté. Republié dans la sélection Classique de la Série Noire plus de soixante-cinq ans après sa première parution en français, « Et pourtant, elle tourne! » de l’Américaine Craig Rice (1908-1957) a pour principal décor une fête foraine située sur une jetée en bord de mer. Au menu, musiques tonitruantes, odeurs de friture, baraques abracadabrantes, amitiés fortes et complicités secrètes. Le fil conducteur du roman, au premier abord, semble lui aussi fort simple: une traque. La traque d’un assassin dont on connaît – ou croit connaître – d’emblée l’identité. Peu de suspense apparemment, mais ne vous y fiez pas trop!

Le meurtre s’est déroulé le temps d’une révolution de la grande roue, en pleine kermesse. La victime, poignardée dans le dos à l’aide d’un couteau de cuisine ordinaire, s’appelait Mac Gurn. Il était le boss des jeux clandestins. Pour les policiers – et pour le lecteur habilement piégé par l’auteure – le rusé Tony Webb s’impose comme le coupable idéal. Non seulement il vient de sortir de prison et se trouvait à la fête foraine au moment du crime, mais il avait un sérieux contentieux avec la victime. Reste à prouver sa culpabilité, et c’est là que tout se complique car Tony s’est fabriqué un solide alibi.

Il existe cependant une faille dans cette machinerie bien huilée. Un témoin potentiel. Au moment du crime, perchée sur un tabouret, Ellen posait pour Amby, le portraitiste de rue sourd-muet installé juste en face de la grande roue. Qu’a-t-elle vu? Art Smith, le chef de la Criminelle voudrait bien le savoir. Tony Webb également. Tous deux vont se mettre à la recherche de la jeune femme et s’éprendre follement de son mystère et de sa beauté. Le policier, qui n’a d’ordinaire pour religion que le règlement et pour bible le « Manuel des procédures policières », ira même jusqu’à évoquer dans son rapport sa « bouche semblable à une rose meurtrie ». On imagine la tête de son supérieur! La métaphore s’avérera tristement prémonitoire.

« Et pourtant elle tourne! » reste un roman atypique dans la production de Craig Rice plutôt tournée vers la comédie policière et le polar loufoque.  De son vrai nom Georgiana Ann Randolph Walker Craig, cette autrice à succès fut, en 1946, la première femme auteure de romans noirs à faire la Une du Time Magazine. Ses livres figuraient alors parmi les plus grosses ventes, aux côtés de ceux de Raymond Chandler ou de Rex Stout. Paru en 1949, « Et pourtant elle tourne! » s’inscrit donc dans une autre veine, plus réaliste et noire. On y retrouve toutefois un des thèmes récurrents de son œuvre, nourri par sa propre biographie, celui de l’abandon. Dans ce magnifique roman, en effet, Ellen, qui aime tant les parcs d’attractions, et le triste policier Art Smith ont tous deux grandi en orphelinat.

 

« Et pourtant, elle tourne! ». De Craig Rice. Traduction de l’anglais de Jacques Papy, révisée par Cécile Hermellin. Préface inédite de Natacha Levet. Gallimard, Collection Série Noire, Série Classique, 254 p.

Voilà un polar magnifiquement minimaliste. Et d’une diabolique habileté. Republié dans la sélection Classique de la Série Noire plus de soixante-cinq ans après sa première parution en français, « Et pourtant, elle tourne! » de l’Américaine Craig Rice (1908-1957) a pour principal décor une fête foraine située sur une jetée en bord de mer. Au menu, musiques […]

Une grosse surprise, teintée d’un brin de déception, mais vite oubliée. Après cinq enquêtes menées tambour battant par son efficace duo Wyndham-Banerjee, l’Anglais Abir Mukherjee quitte l’Inde – le pays de sa famille  – et les années 1920 pour s’installer dans l’Amérique contemporaine. Un désir de changement bien compréhensible. Et qui lui réussit parfaitement. « Les Fugitifs » est un polar palpitant, complexe et superbement construit. Un polar sous tension, né de la colère de l’auteur contre ce qu’il advient du monde.

Le roman se situe à la toute fin d’une élection présidentielle très disputée et dont l’issue s’avère plus qu’incertaine. Face à Greenwood, la vice-présidente démocrate, se dresse avec toute sa morgue et son arrogance un républicain nommé Costa « que la moitié de la population américaine considère comme un cinglé narcissique qui tuerait sa propre mère pour entrer à la Maison Blanche ». Toute ressemblance avec des personnes existantes n’est bien sûr pas fortuite. Mukherjee précise par ailleurs avoir commencé son roman avant l’attaque du Capitole par les partisans de Trump.

Une fois le contexte posé, l’auteur construit librement une intrigue qui fait la part belle à la corruption, au complot et qui se situe d’emblée dans la veine du thriller. Ecrit à la troisième personne et porté par différents narrateurs, le récit commence avec un attentat dans un centre commercial de Los Angeles. Un acte barbare que l’on « vit » aux côtés de la poseuse de bombe, une jeune fille volontairement sacrifiée des commanditaires qui se font appeler « Les Fils du califat ». Un nom parfaitement inconnu des spécialistes du terrorisme!

Aussitôt après l’explosion, prenant des risques considérables, Shreya Mistry, agente spéciale du FBI, se précipite à l’intérieur du bâtiment qui menace de s’effondrer. Impétueuse et indocile, cette jeune femme d’origine indienne retrouve ainsi, par miracle, les vidéos de surveillance où l’on voit la kamikaze courir, sortir son téléphone… et mourir. Pourquoi courait-elle? Avait-elle été piégée? Cet attentat meurtrier n’était-il que le premier d’une série machiavéliquement planifiée avant les élections pour déstabiliser l’Amérique? Hantée par ces questions, ignorant les sanctions et les brimades de sa hiérarchie, Shreya va alors tout mettre en œuvre pour retrouver une jeune femme, Aliyah qui, venue de Londres, était entrée sur le territoire américain en même temps que la poseuse de bombe.

A l’enquête « officielle » se superpose alors une deuxième traque plus discrète. Prévenu que sa fille est en danger, le père d’Aliyah tente de la retrouver avec l’aide d’une Américaine dont le fils, lui aussi disparu, semble pris dans le même engrenage. Et l’auteur profite de cette double course – poursuite pour nous faire traverser les Etats-Unis de part en part. Le chemin des parents éplorés finit par croiser la route de l’agente du FBI. Et le tout se termine dans une monstre bastringue électorale avec mouvements de foule et ambiance survoltée, une apothéose tragique et très cinématographique dont l’auteur a le secret. Glissant de découverte en révélation, ce dernier parvient en outre à nous tenir en haleine jusqu’au bout. Dans « Les Fugitifs », l’identité des traitres et leurs motivations sont en effet susceptibles de changer jusqu’au dernier moment.

 

« Les Fugitifs ». D’Abir Mukherjee. Traduit de l’anglais par Pierre Reignier. Editions Liana Levi, 408 p.

Sur d’autres livres d’Abir Mukherjee: 

https://polarspolisetcie.com/le-mystere-indien-de-la-chambre-close/

https://polarspolisetcie.com/traque-sans-merci-au-coeur-de-la-poudriere-indienne/

 

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Se lancer dans une nouvelle aventure littéraire à 68 ans, voilà qui est plutôt rare et courageux. Après une cinquantaine de polars à succès mettant en scène ses personnages fétiches – le flic Harry Bosch, l’avocat Mickey Haller, l’inspectrice Renée Ballard et le journaliste Jack McEvoy – Michael Connelly change de décor et de héros. Dans « Sous les eaux d’Avalon », son dernier polar, l’écrivain américain quitte la vie trépidante de Los Angeles pour le cadre idyllique de Santa Catalina, une île rocheuse de 194 km2 située à 35 kilomètres du continent. Et pour nous la faire découvrir, il crée de toutes pièces un nouvel enquêteur, un homme têtu, intègre et courageux, l’inspecteur Stilwell.

Ce parti pris nous permet d’assister en direct à la naissance d’un personnage, à la manière dont ce dernier peu à peu s’ancre dans la fiction. Au départ, on ne sait rien de lui. Ensuite progressivement, comme dans un film, les choses s’éclairent, prennent forme et des repères se mettent en place. La figure de Stilwell se dessine, avec un passé, des sentiments. On découvre notamment qu’il entretient une relation amoureuse stable avec Tash – une nouveauté dans l’univers romanesque de Michael Connelly.

Un cadavre bien gênant découvert sous un bateau

Débarqué de l’unité des Homicides du LAPD (Los Angeles Police Department), Stilwell a atterri à Santa Catalina après une embrouille avec un collègue peu scrupuleux. Il s’agit donc d’un placard, même pas doré, d’une manière de le punir en lui coupant les ailes. « En sa qualité d’inspecteur assigné à Avalon (la ville principale de Santa Catalina, réd.), c’était lui qui commandait les forces de l’île. Cet honneur lui valait tout un tas de tâches de gestion et d’administration qu’il n’acceptait qu’à regret », précise l’auteur.

En temps normal, à part quelques délits mineurs, il ne se passe par grand-chose dans ce paradis protégé pour touriste fortunés. Peu après l’arrivée de Stilwell, toutefois, la situation se dégrade. Outre une histoire de bison mutilé, et en plus de l’agression d’un officier de police dans un bar, notre inspecteur se retrouve avec un cadavre sur les bras. Il s’agit d’une jeune femme à la réputation un brin sulfureuse qui travaillait dans un club privé très sélect. Son corps, enveloppé dans une bâche et lesté, a été retrouvé sous un bateau du port.

En pleine saison touristique, le maire tente d’étouffer l’affaire. Il est aidé par des policiers qui, envoyés du continent, se contentent d’enquêter mollement. Bien qu’officiellement tenu à l’écart, Stilwell ne peut rester inactif. Il part sur les traces du tueur et dénonce les conclusions hâtives de ses collègues, s’attirant les remontrances et les menaces de son supérieur. Rien n’y fait. Tenace et têtu, notre inspecteur s’accroche, entraînant le lecteur dans une traque haletante relatée avec brio dans un style quasi cinématographique.

Après ce premier galop d’essai, le personnage de Sitwell semble promis à un bel avenir. Gageons aussi que, comme à son habitude, Michael Connelly lui fera rencontrer par la suite ses autres personnages. « Il reviendra certainement, confirme l’auteur dans une interview, et je suis à un stade où je réfléchis à qui je vais le présenter en premier. Haller? Ballard? Bosch? Peut-être McEvoy? Je n’ai pas encore décidé, mais je m’amuse à imaginer toutes les possibilités. »

 

« Sous les eaux d’Avalon ». De Michael Connelly. Traduit de l’anglais par Robert Pépin. Calmann-Lévy Noir, 386 p. En librairie le 11 juin 2025.

Sur un autre livre de Michael Connelly:

https://polarspolisetcie.com/proces-a-haut-risque-pour-michael-connelly/

Se lancer dans une nouvelle aventure littéraire à 68 ans, voilà qui est plutôt rare et courageux. Après une cinquantaine de polars à succès mettant en scène ses personnages fétiches – le flic Harry Bosch, l’avocat Mickey Haller, l’inspectrice Renée Ballard et le journaliste Jack McEvoy – Michael Connelly change de décor et de héros. […]

Ecrivain aussi passionné que passionnant, Keith McCafferty a grandi dans les Appalaches. Son amour de la pêche à la mouche l’a toutefois conduit dans le Montana où il est devenu rédacteur en chef du magazine de vie au grand air Field & Stream. Le Montana sert aussi de décor et d’ancrage à ses romans, des polars mettant en scène le couple parfois explosif mais efficace formé par la shérif Martha Ettinger et son ami-amant Sean Stranahan aquarelliste, guide de pêche et détective privé à ses heures.

Sixième enquête du duo, « La rivière au cœur froid » démarre sur un fait divers tragique. Prise dans une tempête de neige, une femme meurt de froid dans la montagne, en plein mois d’avril. Pour tenter de s’en sortir, Freida avait rampé jusque dans la tanière d’un grizzli. Se sentant coupable d’avoir entraîné son épouse dans cette équipée mal préparée, son mari se suicide. Peu après, les enquêteurs découvrent dans les affaires abandonnées du couple une boîte à mouches de pêche inhabituelle. Il s’agit d' »une sorte de portefeuille en cuir, à fermeture éclair et doublé en peau de mouton » sur lequel sont estampillées à la pyrogravure les initiales EH. EH comme Ernest Hemingway, devine aussitôt le lecteur qui a lu la quatrième de couverture du livre.

Changement de ton, changement de registre. Un homme – le frère de Freida – est retrouvé mort dans une rivière. Accident ou meurtre? Le doute subsiste. Puis c’est au tour de la femme qui a découvert son cadavre d’être assassinée. Or ces deux victimes avaient, elles aussi, un lien avec Hemingway, plus particulièrement avec une mystérieuse malle de pêche qui lui appartenait et qui aurait été volée, ou perdue, lors d’un transport en train vers l’Idaho, en 1940. Une malle dont une luxueuse canne en bambou refendu s’est brusquement retrouvée sur le marché. Une malle qui, peut-être, contenait aussi un manuscrit inachevé.

Pour écrire ce roman, Keith Mc Cafferty s’est inspiré d’un fait réel. Une anecdote que lui a rapporté Jack Hemingway, le fils du célèbre écrivain. Ce livre est donc une forme d’hommage. Comme à son habitude, l’auteur puise également dans les rudes et magnifiques paysages du Montana pour nourrir, et littéralement enrober, l’enquête de la shérif Martha Ettinger et de son adjoint. Bravant les frontières, et parfois l’éthique policière, ce dernier multiplie les défis et les prises de risque. Dans sa zigzagante chasse au trésor, à la recherche d’un vieil homme un peu fou – un admirateur absolu d’Hemingway, il nous emmène crapahuter sur les eaux gelées du Froze-to-Death Lake, puis déguster un cocktail dans un bar animé de La Havane.

« La rivière au cœur froid » est un roman profus, touffu qui multiple les rebondissements, les sauts, les personnages. Il ignore la logique ordinaire, multiplie les retours en arrière et défie la hiérarchie des faits. L’enquête permet aussi à l’auteur de nous offrir une magnifique galerie de portraits haut en couleur. Et d’irrésistibles descriptions de rivières. De quoi donner des envies de pêche à la mouche même aux lecteurs les plus réfractaires à ce sport.

 

« La rivière au cœur froid ». De Keith McCafferty. Traduit de l’anglais par Marc Boulet. Gallmeister, 480 p.

Sur d’autres livres de Keith McCafferty: 

https://polarspolisetcie.com/les-cheminees-peuvent-etre-mortelles-avis-au-pere-noel/

https://polarspolisetcie.com/des-bisons-une-sherif-intrepide-et-une-irresistible-sirene/

 

Ecrivain aussi passionné que passionnant, Keith McCafferty a grandi dans les Appalaches. Son amour de la pêche à la mouche l’a toutefois conduit dans le Montana où il est devenu rédacteur en chef du magazine de vie au grand air Field & Stream. Le Montana sert aussi de décor et d’ancrage à ses romans, des […]

L’écriture semble un peu sage, les dialogues un brin scolaires? Surtout ne vous laissez pas décourager par cette première impression. Il serait vraiment dommage de passer à côté d' »Etincelles rebelles » de Macodou Attolodé. Si les principales qualités de cet excellent polar sénégalais résident dans la richesse et l’engagement de son propos, il faut aussi relever les affinités de l’auteur avec l’étrange et son talent pour incruster de magie un récit solidement ancré dans le réel.

Cette créativité, cette souplesse, Macodou Attolodé les doit à ses origines et son parcours. Né en 1991 à Dakar, arrivé en France après son bac pour faire des études d’ingénieur, il travaille aujourd’hui à Rennes comme développeur d’applications web. « Etincelles rebelles, » son premier roman, nous emmène à Dakar puis en Casamance en compagnie du jeune inspecteur Gabriel Latyr Faye. Un homme aussi courageux qu’intègre!

Exil en Casamance

Après un an de recherches et huit mois d’infiltration, ce brillant policier vient justement d’arrêter le chef d’une puissante organisation criminelle spécialisée dans le trafic international de cocaïne. Sa hiérarchie lui donne l’ordre de relâcher sur le champ ce prisonnier prétendument innocent. Il l’ignore. On lui fait alors miroiter une promotion avantageuse, mais immédiate. Qu’il décline également pour ne pas devoir lâcher l’enquête en cours. La sanction, dès lors, ne se fait plus attendre. L’après-midi même, Latyr est muté à Ziguinchor, en Casamance, dans le sud-ouest du pays, une région en proie à un conflit larvé opposant les rebelles du MFDC (Mouvement des forces démocratiques de Casamance) à l’armée sénégalaise. Il y fait la connaissance d’Aguène, une journaliste intrépide impliquée elle aussi dans la lutte contre le trafic de drogue. Ils décident de mettre en commun leurs forces. Et le lecteur en profite pour s’initier à tout un pan de l’histoire récente du pays.

Le mal ne joue pas franc jeu

Pour mener à bien leur mission, Aguène et Latyr bénéficient de protections aussi insolites qu’imparables. Le policier prend régulièrement un médicament qui, fourni par sa mère, le fait immédiatement vomir dès qu’il ingère un aliment nocif, voire empoisonné. La jeune femme bénéficie, elle, de l’inestimable soutien d’un grand-père un peu sorcier et de l’essaim d’abeilles qui lui sert de bouclier, « ma barrière naturelle de solitude », comme ce dernier le désigne joliment. Leur combat contre les trafiquants et un ministre particulièrement véreux n’en restera pas moins rude d’autant qu’en Casamance « le mal ne joue pas franc-jeu ». Le lecteur se gardera donc de trancher trop vite entre les bons et les méchants. Avec Macodou Attolodé, on n’est jamais au bout de ses surprises. Et c’est l’une des nombreuses qualités de son roman.

 

« Etincelles rebelles ». De Macodou Attolodé. Gallimard, Série noire, 370 p. En librairie le 9 janvier 2025.

L’écriture semble un peu sage, les dialogues un brin scolaires? Surtout ne vous laissez pas décourager par cette première impression. Il serait vraiment dommage de passer à côté d’ »Etincelles rebelles » de Macodou Attolodé. Si les principales qualités de cet excellent polar sénégalais résident dans la richesse et l’engagement de son propos, il faut aussi relever […]

Le nom de l’Américain Horace McCoy ne vous dit rien? Son œuvre, pourtant, brille au firmament des classiques du polar. « On achève bien les chevaux », c’est lui, « Un linceul n’a pas de poches », lui aussi. Publié en 1937 en… Angleterre, adapté au cinéma par Jean-Pierre Mocky en 1974, ce roman traite de la liberté de la presse, des brimades des politiques et de la pression exercée par la publicité sur les journalistes. Il n’a pas pris une ride. Aujourd’hui comme hier, oser dire la vérité peut mettre en péril un emploi, ou même une vie.

Grâce à l’astucieuse politique de réédition de la Série noire qui nous a déjà valu quelques savoureuses pépites (https://polarspolisetcie.com/relire-raymond-chandler-vite/, https://polarspolisetcie.com/le-tueur-fou-du-sentier/), « Un linceul n’a pas de poches » nous revient dans une traduction révisée par Michael Belano. La préface de Benoît Tadié rappelle que ce livre a connu plusieurs titres provisoires, qu’il a d’abord été refusé par les éditeurs américains qui ne l’ont publié qu’en 1948, dans une version édulcorée, et qu’il comporte une importante part autobiographique. Il est vrai qu’avec une vie aussi singulière et mouvementée, il y avait de quoi faire.

Un style vif et concis

Né en 1897 à Pegram (Tennessee) dans une famille pauvre, Horace McCoy commence à travailler à 12 ans comme vendeur de journaux. En 1917, il s’engage dans l’armée, devient observateur aérien et débarque en France en 1918. Il y sera décoré de la Croix de Guerre pour héroïsme. Démobilisé, il devient journaliste sportif à Dallas, commence à écrire, publie ses premières nouvelles, mais perd son emploi lors de la Grande Dépression de 1929. On le retrouve ensuite à Hollywood où il tient quelques petits rôles avant de se consacrer à l’écriture de scénarios. En littérature, on compare souvent son style vif et concis à ceux de Steinbeck et Hemingway, mais son regard sans concession sur la société américaine dérange. En 1955, à 58 ans, Horace McCoy meurt d’une crise cardiaque à Beverly Hills, dans l’indifférence générale.

Des émules du Ku Klux Klan

Toutes ces expériences, transfigurées, ressurgissent dans « Un linceul n’a pas de poches ». Colton, où se déroule l’intrigue, est en outre clairement inspirée par Dallas, où l’écrivain a vécu entre 1919 et 1930. Mike Dolan, le personnage principal du roman, est un journaliste épris de justice et de vérité. Il démissionne avec fracas du journal qui l’emploie quand le rédacteur en chef refuse, une fois de plus, un article dénonçant la corruption dans le monde du base-ball. Avec deux amis, dont la piquante et indomptable Myra, ce Don Quichotte sans peur mais pas sans failles crée alors son propre magazine, le Cosmopolite. Déjouant les attaques de ses ennemis et les chausse-trappes d’une vie amoureuse agitée, il multiplie les révélations et va jusqu’à s’attaquer aux Croisés, des fanatiques qui s’inspirent des pratiques et de l’idéologie du Ku Klux Klan. Une société secrète à la tête de laquelle siègent plusieurs notables de la ville. Ces derniers seront-ils prêts à tout pour le faire taire? La victoire est fragile et vulnérable quand ses ailes sont en papier.

 

« Un linceul n’a pas de poches ». De Horace McCoy. Traduction de l’anglais de Sabine Berritz et Marcel Duhamel, révisée par Michael Belano. Préface inédite de Benoît Tadié. Gallimard, Série noire, 290 p.

Le nom de l’Américain Horace McCoy ne vous dit rien? Son œuvre, pourtant, brille au firmament des classiques du polar. « On achève bien les chevaux », c’est lui, « Un linceul n’a pas de poches », lui aussi. Publié en 1937 en… Angleterre, adapté au cinéma par Jean-Pierre Mocky en 1974, ce roman traite de la liberté de […]

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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