Marin Ledun est un Français qui aime parfois situer ses polars dans un cadre lointain. Après le Nigeria dans « Free Queens » (lire: https://polarspolisetcie.com/au-nigeria-biere-et-prostitution-font-bon-menage/), c’est aux Marquises qu’il dépose ses valises et son âme. Soyons honnête, même en lui faisant confiance, on craignait un peu le caractère artificiel de ce nouveau parachutage. Dès ses premières pages, « Henua » (qui signifie la terre natale en marquisien) toutefois nous rassure. Marin Ledun aborde avec un tel respect cette terre, cette langue et cette culture qui l’émerveillent qu’il déjoue les pièges des clichés et de l’exotisme de pacotille. Alors, certes, les descriptions de lieux et de paysages sont un peu trop nombreuses et systématiques pour être naturelles, on sent aussi le besoin de faire et de dire vrai. Rien à voir cependant avec ces polars biberonnés à Wikipédia qui régulièrement nous inondent.
Fort habilement, Marin Ledun inscrit d’ailleurs son regard et son statut d’étranger au cœur même de son roman. Il le fait à travers les ambivalences et les questionnements de son personnage principal, Tepano Morel, né d’une mère marquisienne et d’un père français. Ce jeune lieutenant de gendarmerie a grandi et s’est formé en métropole avant d’être muté à Papeete, à Tahiti. Dépêché aux Marquises pour enquêter sur un meurtre, il débarque pour la première fois de sa vie sur la terre de ses ancêtres. Il y est accueilli et secondé par la sous-lieutenante Poerava Wong, responsable de la brigade territoriale autonome de Nuku Hiva. Seul bémol, cette jeune femme dynamique et volontaire avait été une amie très proche de la victime, ce qui n’est pas sans poser problème.
Une femme trop belle et trop libre
La morte s’appelait Paiotoka O’Connor. Elle avait 28 ans, un enfant autiste qu’elle élevait seule, et des moyens de subsistance précaires. Décédée des suites d’une blessure à la tête, elle a été retrouvée à proximité du lieu-dit Terre rouge, au sud de l’île, par un chasseur de chèvres sauvages. D’une fascinante beauté, cette femme était aussi très libre, ce qui n’était pas sans engendrer jalousies et malentendus. Cherchant à découvrir son ou ses meurtriers, Tepano Morel va peu à peu prendre conscience qu’entre petits et grands trafics, vivre aux Marquises peut être rude et cruel.
Parallèlement à cette première enquête, Tepano Morel profite de son séjour aux Marquises pour renouer avec ses origines. Il retrouve différents témoins qui ont connu sa mère aujourd’hui décédée et commence peu à peu à comprendre les raisons du silence qu’elle a toujours gardé sur un passé tragiquement hanté par le spectre des essais nucléaires français en Polynésie. Une dénonciation des effets délétères du colonialisme où l’on reconnaît bien le caractère engagé de l’auteur et sa volonté de dénoncer les abus des puissants quels qu’ils soient.
Ce militantisme avoué n’a toutefois rien d’austère. Tandis que son personnage multiplie les rencontres et les entretiens, Marin Ledun s’amuse à brouiller les pistes et à multiplier les potentiels coupables. Il en profite aussi pour nous offrir un amusant clin d’œil en glissant dans la bibliothèque d’un maraîcher marquisien cultivateur de paka (cannabis) deux livres de Simone Buchholz, une excellente auteure de polars allemande. Pas de doute, en plus d’être un écrivain talentueux, Marin Ledun est un lecteur exigeant!
Marin Ledun est l’un des auteurs invités à la 21e édition du festival Quais du Polar qui se tient du 4 au 6 avril à Lyon. https://quaisdupolar.com/
« Henua ». De Marin Ledun. Gallimard, Série noir, 416 p.
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Amateurs de frissons glacés, de cadavres profanés et de perversité gratuite, passez votre chemin! Ce n’est pas le genre de la maison. Né en 1956 au Chili – et donc arrivé à l’âge adulte sous Pinochet – Ramón Díaz-Eterovic a suffisamment connu la barbarie pour ne pas en rajouter. Le portrait qu’il nous offre de la société chilienne, de ses parts d’ombre et de ses dérives louches emprunte donc d’autres chemins, moins attendus. Amoureux fou, et parfois déçu, de la ville de Santiago qui devient un personnage à part entière, ce petit-fils d’émigrés croates est en outre un humaniste qui a le goût des clins d’oeil. Non seulement son détective privé, Heredia, confie ses aventures à un mystérieux écrivain surnommé le Scribouillard mais il possède lui-même un chat fort bavard baptisé Simenon.
Pollueurs criminels
Quand commence « Negra Soledad », le nouveau et septième polar de Ramón Díaz-Eterovic traduit en français, Heredia, comme souvent, n’est pas très en forme. Outre ses éternels problèmes d’argent, il est confronté à un sérieux dilemme: va-t-il ou non accepter de vivre avec la jeune et belle commissaire Doris Fabra qui l’a placé devant un ultimatum? Très vite, toutefois, cette angoisse – car c’est bien de cela qu’il s’agit– est reléguée au second plan par une triste nouvelle. L’avocat Alfredo Razzetti, l’un de ses amis, est retrouvé mort, assassiné dans son bureau.
Razzetti semblait un homme pourtant plutôt rangé. Heredia promet à sa veuve Raquel d’éclaircir le mystère. Fouillant dans les affaires de l’avocat et grâce à quelques coups de main – Heredia est un manche en informatique et ne possède même pas de téléphone portable – il découvre que son ami s’était engagé dans la défense des habitants de Cuenca menacés par une entreprise minière des plus polluantes. Et bien résolue à se débarrasser des gêneurs. Heredia décide alors de se rendre sur place et s’installe pour quelques jours dans ce petit village du nord du Chili. Rassurez-vous, toutefois. Simenon n’est pas abandonné sans subsistance. De toute manière, Heredia ne reste pas absent très longtemps. Il va bien vite retourner à Santiago pour poursuivre l’enquête qui désespérément piétine, reprendre sa tournée des bistrots et ses errances urbaines qui nous donnent l’impression de connaître un peu Santiago sans même jamais y avoir été.
« Negra Soledad ». De Ramón Díaz-Eterovic. Traduit de l’espagnol par Bertille Hausberg. Métailié, 346 p.
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Encore un enlèvement d’enfant! Avec tout ce que le thème implique de sévices, d’horreur et de cruauté perverse, grande est la tentation de faire passer par pertes et profits ce gros polar pesant plus de 500 pages. Quelques lignes, toutefois, suffisent à nous convaincre du contraire. Et nous voilà littéralement pris au piège de cet intrigant récit où le thème de l’araignée et de sa toile fait figure de fil conducteur. Complexe, bien écrit, contournant habilement les écueils du trop attendu, Le jardin de bronze de l’Argentin Gustavo Malajovich dissimule dans son labyrinthe bien taillé une intrigue machiavélique et des atmosphères savamment ciselées. A rendre accros les plus sceptiques.
Avant d’opter pour l’écriture et de signer des scénarios pour le cinéma et la télévision, Gustavo Malajovich fut architecte. Il en garde un regard particulier sur les paysages et l’environnement dont il fait profiter son personnage principal Fabián Danubio. Architecte lui aussi, l’homme mène à Buenos Aires une vie apparemment paisible quand Moira, sa fille de quatre ans, disparaît en compagnie de sa baby-sitter. Cette dernière sera retrouvée morte, assassinée. L’enfant reste introuvable. La police baisse les bras.
Après le suicide de sa femme et le meurtre de César Doberti, un privé pittoresque devenu presque un ami, Fabián Danubio se transforme lui-même en enquêteur. Il nous emmène avec lui dans son errance à travers Buenos Aires, ses rues, ses atmosphères, ses métros. Neuf ans toutefois vont passer avant qu’il ne découvre la trace de sa fille. Morte ou vivante? On ne vous le dira pas, bien sûr. Mais, pour vous faire patienter, voici le paysage qu’il découvre alors qu’il approche du but: « Le fleuve pénétrait dans les terres sur environ trois cents mètres. Tout au long de ce bras d’eau, comme un morceau de Venise sylvestre, s’élevaient les maisons de Pórtico. L’unique rue de Pórtico était recouverte d’eau. »
« Le jardin de bronze ». De Gustavo Malajovich. Traduit de l’espagnol par Claude Fell. Actes Sud, 526 p.
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S’il est un roman qui correspond bien autre titre de ce blog, c’est celui-là. Pas de doute, en effet. La principale héroïne de Mourir, la belle affaire, n’est autre que Quito, capitale de l’Equateur, 2850 mètres d’altitude, une géographie et une architecture à nulle autre pareilles « sur fond de volcans nuageux ». L’auteur, Alfredo Noriega, qui vit à Paris depuis de nombreuses années, ne se lasse pas d’en évoquer les couleurs et les humeurs, les levers de soleil si singuliers, les pluies soudaines et ce sentiment que la ville, par endroits, est « suspendue, comme abandonnée dans le cosmos, rejetée en dehors du mouvement perpétuel de l’univers, sans prise possible ».
Quito se caractérise aussi par son aptitude à vivre avec la violence, à cohabiter avec la mort. Le narrateur – enquêteur de ce polar en sait quelque chose. Médecin légiste passablement désabusé, cet homme tranquille se voit soudain malgré lui mêlé à une histoire d’accident de circulation louche, d’architecte blanchisseur d’argent sale, de policier justicier et assassin. Il fait ce qu’il peut pour tenter d’enrayer la marche du destin, et sauver ainsi quelques vies. Mais sans illusions. Normal, quand on se retrouve chaque matin avec son lot de cadavres à autopsier et que l’on vit dans un monde où semble n’exister d’autre châtiment que la mort.
« Mourir, la belle affaire ». D’Alfredo Noriega. Ombres noires, 244 p.
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Ramón Díaz-Eterovic n’a pas son pareil pour évoquer la réalité chilienne, les scories nauséabondes de son histoire récente et la misère flamboyante de sa capitale Santiago. Au fil de ses livres, cet auteur a su faire exister avec originalité et talent le personnage généreux et ambigu de Heredia, le privé toujours désargenté partageant son logis, et parfois son repas, avec son chat Simenon, complice malicieux aussi loquace que raisonneur n’hésitant pas à citer les poètes.
Heredia et Simenon se retrouvent, quelque peu vieillissants, dans Le deuxième vœu, le nouveau polar de Ramón Díaz-Eterovic. Un roman qui, à vrai dire commence assez mal pour notre détective. Englué dans un terrible cauchemar, il se voit en train de mourir, « seul, définitivement vieux, tout au bout du rouleau ». Rêve prémonitoire? Après avoir toute sa vie cherché à résoudre les énigmes des autres, Heredia se retrouve soudain confronté au mystère de ses propres origines, lui qui a perdu sa mère tout jeune et qui n’a jamais connu son père. Ce dernier est-il toujours vivant, quel est son nom, pourquoi a-t-il abandonné la femme qu’apparemment il aimait avant la naissance de l’enfant? Telles sont les questions auxquelles Heredia se sent désormais obligé de répondre après avoir reçu, de la part d’une amie de sa mère, deux mouchoirs brodés, une petite lettre et trois photographies. Parallèlement, à titre professionnel cette fois-ci, il part sur les traces du père d’un client, lui aussi très âgé et qui semble s’être littéralement volatisé. Une mission difficile qui, de maisons de retraite en cimetière, va l’amener à découvrir un sordide business. Mais que ses fans se rassurent, Heredia s’en sortira et, surprise, il va renouer avec Griseta, le grand amour de sa vie.
« Le deuxième vœu ». De Ramón Díaz-Eterovic. Traduit de l’espagnol par Bernardo Toro. Editions Métailié, 251 p.
Ramón Díaz-Eterovic n’a pas son pareil pour évoquer la réalité chilienne, les scories nauséabondes de son histoire récente et la misère flamboyante de sa capitale Santiago. Au fil de ses livres, cet auteur a su faire exister avec originalité et talent le personnage généreux et ambigu de Heredia, le privé toujours désargenté partageant son logis, […]
A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.
Photo: Lara Schütz