Polars, Polis et Cie | Le blog de Mireille Descombes

Unité de lieu (un balcon en Israël), de temps (une nuit) et d’action (un tête-à-tête entre deux frères), « Ne le dis pas à ton frère » de Meir Shalev s’apparente à une tragédie classique. Comme chez Racine également, l’essentiel des faits se passe hors scène. Ils ne nous parviennent qu’à travers le filtre, subjectif et teinté, du récit. Un va-et-vient entre l’ici et l’ailleurs, le présent et le passé, un glissement entre le dialogue et l’aparté mené de main de maître par le grand écrivain israélien.

Depuis la mort de Meir Shalev l’an dernier, à 74 ans, « Ne le dis pas à ton frère » prend des allures de testament. On y retrouve avec émotion son souffle ample, son goût pour les situations familiales complexes, son humour fin et piquant et, plus étrange peut-être, sa fascination pour la beauté. Itamar Diskin, l’aîné des frères, est en effet d’une beauté à couper le souffle. Il est aussi très myope. Comme chaque année, à son retour en Israël – il vit aux Etats-Unis – il passe une soirée en tête à tête avec son cadet Boaz. Les deux hommes ont désormais plus de soixante ans. Installés sur le balcon d’une chambre d’hôtel surplombant la mer, il se racontent des histoires du coucher du soleil au lever du jour, en mangeant des mezze et en buvant de la boukha, une eau-de-vie de figue.

« Avec des parents comme les nôtres, nos souvenirs sont intenses et mémorables », explique Itamar. On apprend dans la foulée les innombrables infidélités du père, les tensions au sein du couple parental, l’amour inconditionnel de la mère pour son aîné si beau. Le dialogue, toutefois, tourne cette fois-ci autour de ce qui aurait pu ne rester qu’une anecdote survenue vingt ans plus tôt: la rencontre d’Itamar avec une femme qui l’a abordé dans un bar et l’a emmené chez elle. Une aventure aux allures de revanche, une histoire qui dérape et le marque à jamais, renvoyant Sharon – c’est ainsi que l’inconnue dit s’appeler – à Michal, le grand amour d’Itamar, et indirectement à la fragilité de cette beauté rayonnante qui ne suffit pas pour être aimé en retour.

Dans ce contexte d’une grande complicité, « Ne le dis pas à ton frère » est une injonction plutôt singulière. Elle revient à plusieurs reprises dans le roman, émanant à chaque fois d’une femme et concernant autant Itamar que Boaz. Comme si, en fin de compte, c’était les femmes qui détenaient les clés du savoir, autorisant ou non l’accès des hommes à la vérité et à la maîtrise de leur destin.

 

« Ne le dis pas à ton frère ». De Meir Shalev. Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen. Gallimard, 270 p.

Unité de lieu (un balcon en Israël), de temps (une nuit) et d’action (un tête-à-tête entre deux frères), « Ne le dis pas à ton frère » de Meir Shalev s’apparente à une tragédie classique. Comme chez Racine également, l’essentiel des faits se passe hors scène. Ils ne nous parviennent qu’à travers le filtre, subjectif et teinté, […]

Transformer l’Histoire en fiction n’est pas donné à tout le monde. Beaucoup s’y perdent, se contentant de s’approprier grossièrement les faits pour servir de contexte, voire de prétexte, à des personnages et un récit. L’écrivain Frédéric Paulin se situe aux antipodes de cette dérive. Il trouve dans le roman, et dans le roman noir en particulier, un fabuleux outil pour rendre intelligibles des événements ou des crises qui, dans leur contemporanéité, sont restés nébuleux ou confus pour beaucoup d’entre nous. Des tragédies qui, même aujourd’hui, demeurent partiellement obscures, notamment pour ceux qui en subissent toujours les conséquences.

Après avoir décortiqué la montée du terrorisme et du djihadisme dans une magnifique trilogie plusieurs fois primée, Frédéric Paulin, 52 ans, s’immerge dans une autre nébuleuse : la guerre du Liban. Une guerre civile marquée par plusieurs interventions étrangères, dont celle de la Syrie et d’Israël, un imbroglio multiconfessionnel infiniment complexe, qui fera des centaines de milliers de morts, de nombreux disparus et durera plus de 15 ans (1975-1990).

« Nul ennemi comme un frère » ne prétend pas en faire le tour. Il se présente d’ailleurs comme la première partie d’un ambitieux projet romanesque soigneusement documenté. Le livre commence, le 13 avril 1975, avec l’attaque par les phalanges chrétiennes d’un bus de militants palestiniens – en représailles à des tirs meurtriers perpétrés lors de l’inauguration d’une église. Il se termine avec un double attentat suicide contre le QG américain de l’aéroport de Beyrouth et un poste français baptisé Dakkar. Entre les deux événements, le lecteur assiste, incrédule, à la multiplication des affrontements entre les communautés chrétienne, druze, chiite et sunnite du Liban, mais également à des déchirements et des conflits au sein de ces mêmes communautés. Il comprend mieux comment et pourquoi les alliances se font et se défont au gré des opportunités. Il assiste, impuissant et révolté, aux terrifiants massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila.

Des personnages complexes et attachants

Frédéric Paulin, bien évidemment, reste à l’écart de tout parti pris. Il relate et analyse les faits en se glissant tantôt dans la peau du chiite Abdul Rasool al-Amine, tantôt dans celle des jeunes chrétiens libanais. Les étrangers ont aussi leurs héros avec, entre autres, un personnage pivot, le capitaine Christian Dixneuf, un agent de la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), soit les services secrets français. Ce choix bien sûr n’est pas anodin. Il permet à l’auteur d’offrir au lecteur, de façon naturelle et logique, une vision large et nuancée de la situation tout en bénéficiant d’informations qu’à l’époque personne d’autre ne pouvait posséder.

On l’avait déjà constaté dans sa trilogie et ce nouveau roman le confirme. Frédéric Paulin éprouve une certaine prédilection pour les baroudeurs et les hommes blessés endurcis par la vie. Dans « Nul ennemi comme un frère », il contrebalance toutefois cette rudesse avec le personnage désespéré et un peu flou de Philippe Kellermann. En dépit des menaces, et notamment par attachement au Liban, ce diplomate français va choisir de rester à Beyrouth et prendre tous les risques pour retrouver la belle Zia al-Faqîh qu’il a rencontrée alors qu’elle travaillait comme interprète à l’ambassade de France et dont il est tombé éperdument amoureux. Mais l’amour, en temps de guerre, a bien peu de poids face à la violence et à la folie des hommes. D’autres, comme lui, auront à le déplorer.

 

« Nul ennemi comme un frère ». De Frédéric Paulin. Editions Agullo Noir, 458 p. En librairie le 22 août 2024.

Transformer l’Histoire en fiction n’est pas donné à tout le monde. Beaucoup s’y perdent, se contentant de s’approprier grossièrement les faits pour servir de contexte, voire de prétexte, à des personnages et un récit. L’écrivain Frédéric Paulin se situe aux antipodes de cette dérive. Il trouve dans le roman, et dans le roman noir en […]

Volodymyr Pavliv, Volodya pour ses proches, était Ukrainien. Il est mort au front en 2017, à 42 ans, dans la région de Louhansk. Parce que « la guerre que mène la Russie contre l’Ukraine n’a pas commencé le 24 février 2022, mais en 2014, avec l’occupation de la Crimée et de territoires du Donbass », nous rappelle sa sœur Olesya Khromeychuk. Historienne, autrice, actrice et metteuse en scène, elle-même a quitté Lviv à 16 ans pour s’installer au Royaume Uni, où elle a fait de l’étude de son pays natal son métier. Frappée par ce deuil immense, elle signe aujourd’hui « La mort d’un frère », un livre inclassable et saisissant préfacé par Philippe Sands et introduit par Andreï Kourkov. Le récit d’une douleur encore amplifiée par le deuil de tout un peuple, un texte écrit en grande partie avant l’invasion de l’Ukraine.

Avec amour, tristesse, finesse et nuance, Olesya Khromeychuk fait le portrait de ce frère rebelle et singulier, pas facile à vivre, qui aimait les arts visuels et le sport. Lui qui avait connu l’errance et le déracinement, il lui avait lucidement déclaré pour expliquer son choix de retourner au front : « C’est une guerre européenne ; il se trouve simplement qu’elle a commencé dans l’Est de l’Ukraine». Et cette guerre, que tout le monde à l’étranger feint encore d’ignorer, va littéralement envahir l’appartement de la jeune femme à travers les divers équipements militaires, uniformes, médicaments ou bottes de combat qu’elle fait venir du monde entier pour lui envoyer au front. Et pour ainsi compenser l’absence de ceux qui ont été pillés par des fonctionnaires corrompus. « Moi qui écrivais des textes antimilitaristes dans le cadre de ma vie professionnelle, ironise-t-elle, je devais bien admettre que j’étais en train de me militariser dans le cadre ma vie privée, même si c’était à mon corps défendant. »

Rire même dans le deuil

Olesya Khromeychuk évoque aussi bien l’avant que l’après, l’enterrement, les discours héroïques, les honneurs militaires, la brûlure intolérable de l’absence. Elle relate aussi ce moment, d’une tragique et paradoxale drôlerie, où leur mère, retrouvant les réflexes de ses anciens rapports avec un fils qui souvent ne lui répondait pas, s’exclame devant le cercueil : « Non, mais regarde-toi un peu ! On est tous là, on est venus te voir de loin ! Et toi, tu restes couché là. Comme un prince ! ».

L’auteur – et c’est l’une des qualités de ce livre – remet en perspective tous ces moments douloureux dans le cadre plus large de l’histoire récente de l’Ukraine. Un pays où la liberté « n’est pas une chose qu’on peut tenir pour acquise », où la liberté reste « une chose qui se vit ». Quant aux Russes, elle ne les hait pas, ne peux les haïr en tant que nation, même si elle le voudrait bien parfois, admet-elle. Avant d’ajouter : « Je méprise ceux qui ont donné leur aval à ce régime criminel par leur silence, (…) Je ne supporte pas ceux qui ne se sentent pas complices de cette guerre sous prétexte qu’ils sont contre-Poutine-et-pour-la paix ».

 

« La mort d’un frère ». D’Olesya Khromeychuk. Préface de Philippe Sands. Introduction d’Andreï Kourkov. Traduit de l’anglais par Cécile Deniard. Seuil, 222 p.

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Pourquoi et comment devient-on traducteur ? Quels sont les bonheurs et les difficultés du métier ? Ecrire un livre et traduire un roman ou un poème procèdent-ils d’un même besoin, d’un même talent ? Voilà, parmi d’autres, quelques-unes des questions abordées dans cet élégant petit ouvrage d’entretiens. « La faille du Bosphore » réunit en un vivant face-à-face la traductrice de l’hébreu Rosie Pinhas-Delpuech, par ailleurs directrice de collection chez Actes Sud et écrivaine, et le journaliste et écrivain suisse Maxime Maillard. Ces deux amoureux des mots ont fait connaissance dans le cadre du « programme Gilbert Musy », bourse attribuée en 2021 à Rosie Pinhas-Delpuech et liée à un séjour de deux mois en résidence au Château de Lavigny.

Rosie Pinhas-Delpuech, apprend-on dans « La faille du Bosphore », naît à Istanbul dans l’immédiat après-guerre. Mère germanophone, père francophone, grand-mère judéo-espagnole, elle baigne d’emblée dans une enivrante multiplicité de langues auxquelles s’ajoute le turc de la rue, puis de l’école. Sa langue maternelle ? Elle la choisit, à défaut de la recevoir en héritage, ce sera le français. Pour étudier, elle émigre en France puis s’installe en Israël, avant de revenir vivre à Paris en 1984. On lui doit notamment d’avoir accès à des auteurs comme Yaacov Shabtaï, Orly Castel-Bloom, Etgar Keret ainsi qu’aux magnifiques romans graphiques de Rutu Modan, Grand Prix du Festival d’Angoulême 2014 et récente lauréate du Grand Prix Töpffer 2023.

Dans la fabrique de la traduction

Les chapitres les plus intéressants de « La faille du Bosphore » concernent directement la traduction. Un monde que l’on connaît peu, ou mal, et dans les coulisses duquel Rosie Pinhas-Delpuech nous convie avec sa générosité coutumière. « Dans ma manière de traduire, il y a de la pensée, de la réflexion qui n’est pas discursive, explique-t-elle, c’est-à-dire qui n’est pas produite en aplomb, mais qui se déploie pendant que je fabrique le texte. » Oui, « fabrique », car pour Rosie Pinhas-Delpuech traduire est « quelque chose d’agissant », une place privilégiée qui permet de mieux comprendre comment « c’est fait », comment le sens s’agence à l’intérieur et entre les mots, comme dans une partition musicale.

Pour Rosie Pinhas-Delpuech, traduire représente donc « une activité d’écriture » à part entière. C’est d’ailleurs en passant par le détour de la traduction qu’elle a découvert le droit et le bonheur d’écrire ses propres textes, des récits qui, comme « Le typographe de Whitechapel » paru en 2021, expriment le même besoin de dire, d’éclairer et de faire chanter le monde.

 

Rencontre avec les auteurs :

Neuchâtel, Sens’Egaux, 2a, rue de la Côte, lundi 13 novembre 2023 à 20 h.

Lausanne, Librairie de la Louve, 3, place de la Louve, mardi 14 novembre 2023 à 18 h 30.

Genève, Le Commun, 10, rue des Vieux-Grenadiers (2e étage), « Carte blanche aux Désirables » dans le cadre de la Fureur de lire, samedi 25 novembre 2023 de 13 à 17 h.

https://www.editions-baconniere.ch

 

« La faille du Bosphore ». Entretiens de Rosie Pinhas-Delpuech avec Maxime Maillard sur le métier de traduire et d’écrire. La Baconnière, 116 p. En librairie le 3 novembre 2023.

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J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel de littérature 2006 – « Souvenirs des montagnes au loin ». Hors genres et catégories, cet ouvrage élégant propose une sélection de 200 doubles pages reproduites en fac-similé et tirées des carnets dessinés que l’écrivain turc tient depuis plus de dix ans. Relevons que ce livre est publié en avant-première en France. « En France et chez Gallimard, parce que c’est Gallimard qui a inventé la publication des journaux d’écrivains vivants, avec le « Journal » de Gide, qui reste le journal le plus célèbre », précise l’auteur dans une interview publiée sur le site de son éditeur. Précisons aussi qu’Orhan Pamuk a aujourd’hui 70 ans, l’âge de Gide à l’époque.

La peinture, un premier amour

L’attachement d’Orhan Pamuk aux arts visuels est connu. Il a souvent raconté comment, entre sept et vingt-deux ans, il pensait devenir peintre, avant d’étudier l’architecture et le journalisme, puis d’opter pour l’écriture. Cette passion fut aussi relayée, en 2012, par la création, à Istanbul, du Musée de l’innocence, conçu parallèlement à l’écriture d’un roman éponyme en forme de miroir.

« Souvenirs de la montagne au loin », lui, relève du journal et non de la fiction. Il s’agit d’un curieux projet « bilingue » puisque tout entier consacré au « bonheur de recouvrir un dessin de texte » – texte à son tour traduit ici en français. L’écrivain y évoque sa ville d’Istanbul, ses voyages, ses séjours aux Etats-Unis ou en Inde, ses rêves nocturnes, parfois le menu de ses repas, ses baignades, ses doutes et son travail d’écrivain, ses agacements quotidiens. L’image, essentiellement des paysages, ne se contente jamais d’illustrer son propos. A l’inverse, les mots et les lettres acquièrent une vie propre, une dimension esthétique en soi.

Une irrépressible frénésie de remplissage

Ces feuillets saturés de traits et de signes emmènent le lecteur dans un espace incertain qui tient à la fois de la scène de théâtre et de l’écran de cinéma, deux rectangles accolés où l’image et le texte – un peu comme dans l’art brut – cohabitent, s’ignorent, se fondent et parfois s’entredévorent comme saisis par une irrépressible frénésie de remplissage. Dans l’interview de Gallimard, Orhan Pamuk précisait aussi que ce journal a toujours été pensé dans la perspective d’une possible publication. « Je suis un auteur conscient de moi-même, précise-t-il. Je n’ai pas voulu d’un journal qui soit des mémoires ou une confession, j’ai voulu faire de ces pages un espace artistique. » Cela ne l’empêche pas d’évoquer son « programme habituel de nage », une terrible douleur à l’oreille, la prise d’un somnifère pour calmer ses « peurs existentielles les plus profondes » ou la beauté et la tendresse de sa compagne Asli Akyavas, devenue en avril 2022 sa deuxième épouse.

Illustration: ©2022, Orhan Pamuk, tous droits réservés

 

« Souvenirs des montagnes au loin ». Carnets dessinés d’Orhan Pamuk. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes. Gallimard, 392 p.

J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel […]

Dina Kaminer a été assassinée. On l’a découverte attachée à une chaise dans son salon, le mot « maman » gravé sur le front, une poupée serrée entre ses doigts. Les journaux se sont généreusement épanchés sur le drame.  Ils ont rappelé que cette brillante quadragénaire était titulaire d’un doctorat en études de genre et qu’elle était notamment l’auteure d’un article sur les femmes stériles dans la Bible. Ils n’ont pas omis de mentionner qu’elle-même avait choisi de rester célibataire sans enfants, s’affirmant ainsi comme la cheffe de file d’un courant très controversé en Israël.

Dina est-elle morte à cause de son refus d’enfanter? C’est ce que nous suggère fort habilement Sarah Blau – l’une des voix montantes de la scène littéraire féministe israélienne – dans les premières pages de son polar « Filles de Lilith ». Quand ensuite le cadavre de Ronit, elle aussi célibataire sans enfant, est retrouvée dans une mise en scène similaire, l’idée d’un tueur en série se profile. Et l’on commence à craindre pour la narratrice, l’attachante et tourmentée Sheila Heller. Cette dernière avait été très proche des deux victimes durant ses études. Elle partage toujours leurs idées mais semble désormais surtout éprouver haine et jalousie à leur égard. Ses jours sont-ils comptés? Sheila elle-même nous rassure: « Si je suis le détective de cette histoire, j’ai au moins la certitude de rester en vie jusqu’à la dernière page. »

L’ombre de la sulfureuse Lilith

Des clins d’œil, de l’ironie, de l’autodérision, on en trouve à foison dans ce déroutant polar. Une mise à distance du suspense et de l’intrigue qui n’empêche pas l’auteure d’éprouver une indéniable tendresse pour ses personnages. Prenez Sheila qui tente non sans peine de concilier ses presque quarante-deux ans et son attirance pour les jeunes hommes. Tout en pestant contre ses muscles faciaux qui se relâchent et sa peau qui se dessèche, elle travaille comme conférencière au musée de la Bible où trône une collection de figurines représentant aussi bien Jacob qu’Abraham, Sarah ou Hagar. La sculpture de la sulfureuse Lilith chère aux féministes, et dont l’ombre plane sur ce récit, en a été bannie. Une femme grande, imposante, poilue et nue plantant « ses dents dans un nouveau-né, tel un prédateur vorace », cela n’aurait pas été très casher!

 

« Filles de Lilith ». De Sarah Blau. Traduit de l’hébreu par Sylvie Cohen. Les Presses de la Cité, 252 p.

 

Dina Kaminer a été assassinée. On l’a découverte attachée à une chaise dans son salon, le mot « maman » gravé sur le front, une poupée serrée entre ses doigts. Les journaux se sont généreusement épanchés sur le drame.  Ils ont rappelé que cette brillante quadragénaire était titulaire d’un doctorat en études de genre et qu’elle était […]

A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.

Photo: Lara Schütz

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