- juin 19, 2023
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- Asie, Polars
Peu de romanciers se sont emparés du Covid. Une relative amnésie qui redouble l’intérêt du dernier polar de Qiu Xiaolong, « Amour, meurtre et pandémie ». Non content de redonner travail et respectabilité à son désormais ex-inspecteur principal Chen Cao, l’écrivain nous plonge dans l’indicible horreur d’une Chine soumise, contre vents et marées, à l’implacable politique du zéro Covid. L’auteur dédie d’ailleurs son livre à tous ceux « qui ont souffert de la pandémie ». En précisant : « La longue liste des victimes inclut mon mentor, le professeur Li Wenjun.»
Un regard percutant sur la Chine
Rappelons que Qiu Xiaolong, qui vit aujourd’hui aux Etats-Unis et écrit en anglais, est né à Shanghai en 1953. Alors que son père, professeur, était victime des brimades des gardes rouges, il fut lui-même interdit de cours durant la révolution culturelle. Ces obstacles ne l’ont pas empêché d’apprendre l’anglais, et de se passionnner pour le poète T.S. Eliot auquel il a consacré sa thèse. Parti poursuivre ses études aux Etats-Unis en 1988, Qiu Xiaolong choisit d’y rester quand éclatent les événements de Tiananmen. Cette distance géographique et la mise en perspective du polar lui permettent ainsi, depuis plus de vingt ans, de poser un regard indépendant, percutant et lucide sur ce pays cher à son cœur dont il décrit l’évolution et les dérives livre après livre.
Quand démarre « Amour, meurtre et pandémie », le policier poète Chen Cao est « en congé de convalescence ». Sanctionné par ses supérieurs, il a par ailleurs été relégué à un poste purement formel à la tête de la réforme du système judiciaire. Alors que le Covid s’étend de jour en jour, il se promène dans une ville désertée, suivant des yeux l’incessant ballet des ambulances et des voitures en route pour l’hôpital. Il n’en oublie pas pour autant de faire un saut au Pavillon de l’abricotier en fleurs pour acheter « des brioches fourrées au porc grillé et des raviolis aux crevettes et au porc », l’un des mets préférés de sa mère. Fin gourmet il fut, fin gourmet il reste même en temps de crise.
Les trois meurtres de l’hôpital Renji
De retour chez lui, et alors qu’il reçoit la visite de sa jeune, charmante et visiblement très amoureuse assistante Jin, Chen Cao voit débarquer sans prévenir le directeur du personnel de la municipalité de Shanghai, Hou. Cet officiel du Parti, qui se déplace dans une prestigieuse voiture Drapeau rouge, vient requérir son aide dans « une grave affaire de meurtres en série », trois cadavres retrouvés à proximité de l’hôpital Renji. Sa requête s’apparente à un ordre. Chen doit s’y soumettre sans tarder, efficacement secondé par Jin.
Parallèlement à son enquête, notre légendaire inspecteur reçoit par Internet des petits textes d’un ami écrivain de Wuhan. Ces billets glaçants parlent de gens qui meurent emmurés dans leur appartement, de femmes enceintes et d’enfants en bas âge qui décèdent dans l’ambulance ou devant l’hôpital faute de pouvoir produire un test Covid négatif de moins de 24 heures. Ils témoignent aussi de la répression qui frappe sans pitié tous ceux qui se révoltent contre les ordres du Parti.
Ces récits – désignés comme « Le Dossier Wuhan » – vont alimenter l’enquête de Chen, et contribuer à sa découverte de la vérité. Car bien entendu notre policier finira par démasquer le – ou les – coupable. Il se verra toutefois contraint de dissimuler la réalité des faits à ses concitoyens afin de ne pas porter préjudice à la politique sanitaire aberrante du gouvernement. Cet interdit ne fera que renforcer sa résolution de tenter de publier hors de Chine le contenu du « Dossier de Wuhan ». Quitte à tromper la censure en traduisant les textes en anglais et en les plaçant sous la couverture d’un recueil de poésie classique.

« Amour, meurtre et pandémie ». De Qiu Xiaolong. Traduit de l’anglais par Françoise Bouillot. Liana Levi, 224 p.
Peu de romanciers se sont emparés du Covid. Une relative amnésie qui redouble l’intérêt du dernier polar de Qiu Xiaolong, « Amour, meurtre et pandémie ». Non content de redonner travail et respectabilité à son désormais ex-inspecteur principal Chen Cao, l’écrivain nous plonge dans l’indicible horreur d’une Chine soumise, contre vents et marées, à l’implacable politique du […]
- juin 1, 2023
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- Asie, Polars
A quoi ressemblait une cure de désintoxication dans l’Inde des années 1920 ? L’écrivain britannique Abir Mukherjee nous en donne un saisissant aperçu dans son nouveau polar, « Le soleil rouge de l’Assam ». Entre potions abominables et vomissements à répétition, le traitement semble des plus rudes. Pas de quoi décourager le vaillant capitaine Sam Wyndham dont le lecteur a suivi, au fil des précédents livres de l’auteur, la chute lente, mais inexorable, dans la dépendance à l’opium.
Traumatisé par la première Guerre Mondiale et par la mort de sa femme, cet ancien de Scotland Yard en poste à Calcutta croyait avoir trouvé dans la drogue de quoi soulager son âme et retrouver le sommeil. Il lui devient toutefois de plus en plus difficile de cacher son addiction. Sur les conseils de son médecin, il se rend dans les collines de Cachar, au fin fond de la province de l’Assam, dans un ashram dirigé «par un saint homme du nom de Devrah Swami ».
Un terrifiant fantôme
Mais à peine arrivé à destination, après un long voyage torturé par le manque, voilà Wyndham brusquement rattrapé par son passé. « C’est arrivé sur le quai. Comme un coup de tonnerre. Une décharge électrique de terreur. Le temps d’un battement de cœur j’ai croisé un fantôme, un mort, un homme que j’ai vu pour la dernière fois il y a presque vingt ans », suffoque-t-il. Or ce visage, cette silhouette sont ceux de Jeremiah Caine qui, autrefois à Londres, avait essayé de le tuer. Réalité ? Hallucination ? Pour le découvrir le lecteur va devoir patienter, car Abir Mukherjee sait à merveille ménager surprises et suspense. L’occasion, entre autres, de nous proposer sa propre version, passablement sophistiquée, du classique mystère de la chambre close.
Et comme toujours, c’est avec une prose élégante et un humour subtil qu’Abir Mukherjee, parfaitement documenté, ressuscite cette période de l’histoire qui le fascine. Lui-même issu d’une famille d’émigrés, il n’a pas son pareil pour évoquer le regard dubitatif de l’adjoint indien de Wyndham « examinant les entrailles gélatineuses d’une crème caramel insipide ». Pour l’auteur, ce roman est aussi, surtout peut-être, une façon « d’écrire sur l’espoir » en dénonçant le racisme, l’intolérance et la peur de l’autre qui gangrènent et empoisonnent nos sociétés.

« Le soleil rouge de l’Assam ». D’Abir Mukherjee. Traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez Batlle. Liana Levi, 414 p.
A quoi ressemblait une cure de désintoxication dans l’Inde des années 1920 ? L’écrivain britannique Abir Mukherjee nous en donne un saisissant aperçu dans son nouveau polar, « Le soleil rouge de l’Assam ». Entre potions abominables et vomissements à répétition, le traitement semble des plus rudes. Pas de quoi décourager le vaillant capitaine Sam Wyndham dont le […]
- mai 8, 2023
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- Amérique du Nord, Polars
On croyait avoir tout vu ! Grave erreur ! Après une quinzaine de polars, tous passablement addictifs, l’écrivaine canadienne Louise Penny parvient encore à nous surprendre. Dans son dernier roman « Maisons de verre », et pendant plus de 350 pages, elle réussit ainsi, sans ébrécher le moins du monde notre intérêt, à nous cacher le nom de l’accusée d’un procès aux enjeux des plus complexes. Ce procès s’articule autour de la figure forte et rassurante d’Armand Gamache, l’enquêteur fétiche de Louise Penny, interrogé cette fois-ci comme témoin. Il vient par ailleurs d’être nommé directeur général de la Sûreté du Québec, un poste loin d’être une sinécure.
Le récit commence un soir d’Halloween, à Three Pines, le petit village québécois fictif dans lequel Louise Penny enracine tous ses polars. Alors qu’Armand Gamache, ses proches et leurs amis sont réunis pour l’occasion, une mystérieuse créature masquée vêtue d’une robe noire à capuchon fait irruption dans le bistro où se tiennent les festivités. Impossible d’entrer en contact avec elle. Gamache est traversé par un sinistre pressentiment. Et si c’était la mort qui, brutalement, s’invitait dans la chaleur de la fête ? Le malaise se confirme le lendemain quand les villageois constatent que le visiteur est toujours là, immobile, planté dans le parc d’où, imperturbable, il fixe quelque chose ou quelqu’un d’invisible. On tente de l’interroger, de lui demande de partir. En vain. Et quand, deux jours plus tard, la silhouette noire enfin disparaît, elle laisse derrière elle le cadavre d’une jeune femme, une architecte de passage au village, retrouvée morte dans le sous-sol de l’église, revêtue des habits noirs de l’intrigant fantôme.
Une affaire en cache une autre
L’enquête et le suspense ne font que commencer. D’autant que, dans ce roman, une affaire en cache une autre, en lien avec le trafic de drogues et la crise des opioïdes. Rendus méfiants par la corruption qui gangrène jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir, Gamache et quelques collaborateurs fidèles tentent de piéger les cartels qui, avec une terrifiante insolence et une quasi-impunité, inondent le Québec et les Etats-Unis de substances mortelles. La confrontation entre policiers et criminels sera sanglante. Mais soyez rassuré ! Gamache s’en sort sans mal. Et comme toujours Louise Penny contrebalance les moments de tensions extrêmes par des pauses chaleureuses où le lecteur se régale de la cuisine savoureuse du bistrot du village tout en appréciant les propos délirants, provocateurs, et souvent pertinents, de Ruth, la vieille poète un peu folle et passablement alcoolique qui ne se déplace jamais sans sa cane Rose. Un volatile des plus pittoresques qui, ayant hérité le grossier parler de sa patronne, ne cesse de répéter à sa suite, « fuck, fuck, fuck ». Mais qui donc pourrait lui en vouloir ?
« Maisons de verre ». De Louise Penny. Traduit de l’anglais par Lori Saint-Martin et Paul Gagné. Actes Sud, coll. Actes noirs, 446 p.
On croyait avoir tout vu ! Grave erreur ! Après une quinzaine de polars, tous passablement addictifs, l’écrivaine canadienne Louise Penny parvient encore à nous surprendre. Dans son dernier roman « Maisons de verre », et pendant plus de 350 pages, elle réussit ainsi, sans ébrécher le moins du monde notre intérêt, à nous cacher […]
- mars 23, 2023
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- Amérique du Nord, Polars
Avec ses trafics, ses magouilles et son snobisme, avec ses cotes faramineuses et ses collectionneurs un peu fêlés, le milieu de l’art, notamment contemporain, représente un terrain de chasse rêvé pour les auteurs de romans noirs. L’Américaine Maria Hummel – ancienne secrétaire d’édition au fameux MOCA (Museum of Contemporary Art) de Los Angeles, aujourd’hui professeur à l’université du Vermont – a consacré à ce petit monde interlope un polar tout à la fois riche en suspense, subtilement féministe et délicieusement ironique, « Le musée des femmes assassinées » (https://wp.me/pacAvQ-9R). Toujours engagée, lucide et critique, elle récidive avec « Leçon de rouge », plus spécifiquement consacré à l’atmosphère hautement compétitive et un brin malsaine des grandes écoles d’art.
Bien qu’il s’agisse clairement d’une suite, « Leçon de rouge » peut parfaitement se lire indépendamment. Sans tout savoir du passé de Maggie Richter, on comprend sans peine que cette enquêtrice hors pair, une ancienne journaliste devenue rédactrice-correctrice au Rocque Museum de Los Angeles, a vécu quelques péripéties douloureuses. Après s’être réfugiée dans son Vermont natal pour récupérer, elle se retrouve à nouveau sur la brèche. Sa mission, inofficielle : faire la lumière sur le suicide inexpliqué de Brenae Brasil, l’une des plus brillantes étudiantes du LACC, une école où obtenir un diplôme revient « à intégrer un des cercles artistiques les plus sélects de Los Angeles ». Comme dans le précédent polar de Maria Hummel, Maggie peut compter sur l’aide d’un mystérieux et séduisant détective privé qui, découvre-t-elle, enquête en parallèle sur la mort de son propre frère.
Une galerie se transforme en tombeau
L’une des dernières œuvres de l’étudiante décédée s’intitule « Packing ». Il s’agit d’un film qui, présenté à titre posthume dans un festival branché, a suscité d’emblée l’adhésion d’un public avisé. Il évoque, de façon détaillée, la semaine que l’artiste avait passée en portant sur elle, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une arme chargée, celle-là-même avec laquelle elle a mis fin à ses jours. Comme d’autres spécialistes, Maggie l’a découverte avec émotion. Elle s’intéresse toutefois davantage à « Lesson in red », une vidéo crue, sombre, insoutenable où Brenae Brasil semble elle-même victime d’un viol, avant que l’écran ne soit progressivement envahi par une teinte rouge. Apparemment, ce travail dérangeant avait été volontairement effacé par une main malveillante peu après la mort de son auteure. Par chance, une copie en subsiste. Le point de départ d’une traque qui va mener notre enquêtrice et son complice dans les inquiétantes coulisses d’une galerie branchée menaçant de se transformer en mortelle sépulture.
« Leçon de rouge ». De Maria Hummel. Traduit de l’anglais par Thierry Arson. Actes Sud, coll. Actes noirs, 334 p.
Avec ses trafics, ses magouilles et son snobisme, avec ses cotes faramineuses et ses collectionneurs un peu fêlés, le milieu de l’art, notamment contemporain, représente un terrain de chasse rêvé pour les auteurs de romans noirs. L’Américaine Maria Hummel – ancienne secrétaire d’édition au fameux MOCA (Museum of Contemporary Art) de Los Angeles, aujourd’hui professeur […]
- décembre 6, 2022
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- (Auto)biographies, Asie, Europe
J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel de littérature 2006 – « Souvenirs des montagnes au loin ». Hors genres et catégories, cet ouvrage élégant propose une sélection de 200 doubles pages reproduites en fac-similé et tirées des carnets dessinés que l’écrivain turc tient depuis plus de dix ans. Relevons que ce livre est publié en avant-première en France. « En France et chez Gallimard, parce que c’est Gallimard qui a inventé la publication des journaux d’écrivains vivants, avec le « Journal » de Gide, qui reste le journal le plus célèbre », précise l’auteur dans une interview publiée sur le site de son éditeur. Précisons aussi qu’Orhan Pamuk a aujourd’hui 70 ans, l’âge de Gide à l’époque.
La peinture, un premier amour
L’attachement d’Orhan Pamuk aux arts visuels est connu. Il a souvent raconté comment, entre sept et vingt-deux ans, il pensait devenir peintre, avant d’étudier l’architecture et le journalisme, puis d’opter pour l’écriture. Cette passion fut aussi relayée, en 2012, par la création, à Istanbul, du Musée de l’innocence, conçu parallèlement à l’écriture d’un roman éponyme en forme de miroir.
« Souvenirs de la montagne au loin », lui, relève du journal et non de la fiction. Il s’agit d’un curieux projet « bilingue » puisque tout entier consacré au « bonheur de recouvrir un dessin de texte » – texte à son tour traduit ici en français. L’écrivain y évoque sa ville d’Istanbul, ses voyages, ses séjours aux Etats-Unis ou en Inde, ses rêves nocturnes, parfois le menu de ses repas, ses baignades, ses doutes et son travail d’écrivain, ses agacements quotidiens. L’image, essentiellement des paysages, ne se contente jamais d’illustrer son propos. A l’inverse, les mots et les lettres acquièrent une vie propre, une dimension esthétique en soi.
Une irrépressible frénésie de remplissage
Ces feuillets saturés de traits et de signes emmènent le lecteur dans un espace incertain qui tient à la fois de la scène de théâtre et de l’écran de cinéma, deux rectangles accolés où l’image et le texte – un peu comme dans l’art brut – cohabitent, s’ignorent, se fondent et parfois s’entredévorent comme saisis par une irrépressible frénésie de remplissage. Dans l’interview de Gallimard, Orhan Pamuk précisait aussi que ce journal a toujours été pensé dans la perspective d’une possible publication. « Je suis un auteur conscient de moi-même, précise-t-il. Je n’ai pas voulu d’un journal qui soit des mémoires ou une confession, j’ai voulu faire de ces pages un espace artistique. » Cela ne l’empêche pas d’évoquer son « programme habituel de nage », une terrible douleur à l’oreille, la prise d’un somnifère pour calmer ses « peurs existentielles les plus profondes » ou la beauté et la tendresse de sa compagne Asli Akyavas, devenue en avril 2022 sa deuxième épouse.
Illustration: ©2022, Orhan Pamuk, tous droits réservés
« Souvenirs des montagnes au loin ». Carnets dessinés d’Orhan Pamuk. Traduit du turc par Julien Lapeyre de Cabanes. Gallimard, 392 p.
J’aime les pas de côté. Une liberté que je m’arroge volontiers jusque dans ce blog censé prioritairement s’intéresser au polar, mais plus largement placé sous le signe généreux de la ville, de l’architecture et du regard sur le monde. Cette élasticité me permet de vous parler aujourd’hui d’un livre magnifique d’Orhan Pamuk – Prix Nobel […]
- mai 10, 2022
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- Asie, Polars
Est-ce dû à la structure de la pensée et de la langue coréennes? A une façon un peu différente de concevoir la logique, l’espace et le temps? Nous nous garderons bien de trancher. Mais une chose est sûre. « Mortel motel » de Do Jinki est un polar imprévisible et différent. Il s’apparente à une forêt clairsemée dont les arbres bas s’ordonneraient en bouquets ne révélant leur unité profonde et leur vraie nature de forêt que dans un second temps. L’enquête et la « vraie vie » s’y côtoient, le présent et le passé s’y mêlent, il arrive même que les personnages changent d’identité. Le tout pimenté d’une pointe de fantastique et de quelques frissons d’effroi. On se régale.
L’auteur, Do Jinki, 49 ans, est juge au tribunal de Séoul. Il écrit des polars depuis une dizaine d’année et fait à l’évidence profiter son enquêteur Gojin de son savoir et de son expérience. Gojin lui-même était juge, avant d’abandonner quatre ans plus tôt ses fonctions pour devenir une sorte d’avocat de l’ombre qui « traite ses affaires à l’abri des regards et tente de les résoudre à sa façon, en utilisant les failles obscures de la loi plutôt que les procédures officielles ». Il fait équipe avec Lee Yuhyeon, le chef de la brigade criminelle du commissariat de Seocho (un arrondissement de Séoul), un policier apparemment tout ce qu’il y a de plus classique et qui vient d’être nommé au grade de capitaine. Il est doté d’épais sourcils dominant un visage taillé au couteau. Une description physique qui, comme d’autres portraits du roman, se révèle fort intéressante dans ce qu’elle nous dit de la Corée, de ses critères esthétiques, de sa culture.
Meurtre dans un motel
Mais passons aux choses sérieuses, à l’intrigue proprement dite! En l’occurrence, le meurtre d’une jeune femme dans un motel. L’assassinat s’est produit quasiment sous les yeux de Goji, qui s’était arrêté là pour passer la nuit à cause d’une panne de voiture. Très vite, l’affaire s’avère liée aux pratiques peu orthodoxes d’un certaine docteur Yi Tak-o qui dirige à Séoul un Centre de recherches sur le suicide mental. Ce neuro-psychiatre – un homme aux cheveux tout blancs aussi séduisant que manipulateur – propose à tous ceux dont la vie est un enfer, mais qui n’osent se donner la mort, une autre façon de mettre fin à leurs souffrances.
Cet homme, l’avocat Gojin le connaît bien. Il l’a croisé dans une précédente affaire de meurtre déguisée en accident. Le praticien aurait, pense-t-il, machiavéliquement suggéré à une jeune femme malheureuse en ménage du tuer son mari en le faisant tomber d’une falaise. Rien n’avait pu être prouvé à l’époque. Gojin a donc une revanche à prendre. Et surtout le sentiment que seule la résolution de cette première histoire permettra de vraiment comprendre le meurtre du motel. Le lecteur n’est pas au bout de ses surprises.
« Mortel motel ». De Do Jinki. Traduit du coréen par Lim Yeong-hee et Mathilde Colo. Matin calme éditions, 334 p.*
*Cette nouvelle maison d’édition publie depuis 2020 des polars coréens. Un choix motivé par la richesse de tout un pan de la littérature coréenne jusqu’alors peu ou pas traduit en français. Matin calme affiche aujourd’hui à son catalogue une vingtaine de titres, dont un autre polar de Do Jinki, « Le portrait de la Traviata ».
Est-ce dû à la structure de la pensée et de la langue coréennes? A une façon un peu différente de concevoir la logique, l’espace et le temps? Nous nous garderons bien de trancher. Mais une chose est sûre. « Mortel motel » de Do Jinki est un polar imprévisible et différent. Il s’apparente à une forêt clairsemée […]
A propos de ce blog

Scènes et mises en scène: le roman policier, l’architecture et la ville, le théâtre. Passionnée de roman policier, Mireille Descombes est journaliste culturelle indépendante, critique d’art, d’architecture et de théâtre.
Photo: Lara Schütz